N° 1325 | Le 18 octobre 2022 | Par Didier Bouterre, psychologue-formateur-superviseur | Espace du lecteur (accès libre)
Il est de termes trop souvent employés comme équivalents qui justifient des précisions sémantiques pour en cerner le sens exact et éviter les confusions.
Ces dernières années, on retrouve souvent deux mots utilisés dans le langage médicosocial, « accompagner et servir ». La plupart du temps ces deux vocables sont totalement associés au point même que l’un peut remplacer l’autre sans difficulté apparente et sans véritablement de réflexion à leurs bons emplois. Pourtant à y regarder de près, non seulement ils ne veulent pas dire la même chose, mais ils sont en total opposition, si bien que l’usage de l’un dit le contraire de l’autre et dans le cadre du médicosocial ils peuvent orienter ou désorienter complètement les pratiques professionnelles.
Que veut dire le mot accompagner ?
À partir des définitions des dictionnaires, le mot accompagner indique pour l’essentiel un mouvement de réunion pour faire ensemble, comme se joindre à… ou se produire en même temps… À partir de cette définition, accompagner indique le mouvement de deux personnes distinctes à se réunir et à être ensemble, ce qui correspond tout à fait à la notion de compagnon.
Ces définitions soulignent le fait d’être ensemble, sans forcément préciser le quoi faire ensemble, si bien que ce « être ensemble » peut être tout à fait circonstanciel et se suffire à un acte de présence sans qu’il soit motivé par une activité quelconque. Il est également intéressant de voir le préfixe « ac » qui semble indiquer une action au compagnonnage qui dépasse le caractère passif de la situation. Derrière cet « ac », il s’agit d’aller faire compagnon et ne pas être fortuitement avec, mais aussi s’accrocher à l’autre pour faire compagnie.
Maintenant il s’agit de voir l’incidence que peut produire l’utilisation de ce vocable dans les pratiques professionnelles. Il s’agit « d’accompagner » les personnes qui peuvent bénéficier de l’aide des professionnels, mais en restant flou sur le comment se positionne cet accompagnement. Or accompagner ne précise pas la nature de ce qui fait compagnon, mais précise essentiellement le fait d’être ensemble et plus précisément « Être avec ». Autrement dit accompagner peut se suffire à être présent avec l’autre.
Si accompagner donne la nature du lien à la personne compagnon-accompagné, cela ne précise pas l’objet d’orientation sur quoi ce lien peut déboucher, c’est à ce niveau qu’il se crée une distinction avec le mot servir.
Que veut dire le mot servir ?
Le mot servir et son corollaire service est souvent utilisé dans le médicosocial. L’usage du mot indique « être au service » de personnes au regard de leurs situations et de leurs besoins. Cette posture est construite soit à partir de l’altruisme, l’aide à la personne ou la notion du commerce, l’échange avec gratification.
Les dictionnaires nous précisent que servir renvoie et l’étymologie est incontournable sur ce point, à l’esclavage. La base du mot venant de la servitude et originairement du serf, l’esclave ou le corvéable. D’ailleurs dans le même sens, sans pour autant indiquer une soumission, il caractérise la notion d’être utile à l’autre ou « être utilisé » pour l’autre, c’est sur ce dernier point qu’on touche à la question de l’esclave. Si on s’arrête également sur son corollaire, service ou une organisation sociale au service, il s’agit bien d’un travail à accomplir à partir d’une commande. C’est l’ensemble des devoirs et obligations qui constituent cette organisation mis à disposition, c’est-à-dire au service de…
À partir de ces définitions quels sont les effets dans le médicosocial. Si on reste sur la notion de servir, le rapport qui en ressort du côté du relationnel est inévitablement celui du maître à l’esclave. Reste à appréhender dans ce rapport le degré de soumission induit, entre une obligation faite à l’autre sans qu’il puisse s’en départir ou au contraire un choix plus ou moins assumé de se mettre au service en compensant cette soumission par une gratification ou une valeur qui fait devoir comme le fut en son temps le service militaire. Ici on se retrouve plus communément dans le rapport contractuel commercial de l’offre et la demande.
Maintenant en quoi servir vient s’entremêler avec l’accompagnement, alors qu’ils ne veulent pas dire la même chose…
En conclusion
Dans de multiples secteurs on trouve ces deux vocables associés et confondus, l’un étant utilisé à la place de l’autre, générant ainsi une confusion. À y regarder de plus près, chaque concept ainsi contenu pourrait totalement s’opposer. Même si chacun génère une relation auprès de personnes, c’est à partir de postures diamétralement distinctes.
L’accompagnement est d’abord une situation qui détermine un lien entre deux personnes construit sur la notion de compagnon et se situe uniquement au niveau d’une coexistence sans préciser l’objet ou le travail à fournir. Au demeurant cet accompagnement à la base est construit sur un lien fait d’affectivité et pour qu’il se maintienne, un lien d’intérêt partagé. C’est à ce niveau qu’il peut avoir confusion avec le service qui lui est construit exclusivement sur l’intérêt et pour ce faire sur un travail à fournir. D’ailleurs pour qu’il y ait service, il faudra une gratification de l’un par rapport à l’autre ou voir de l’un sur l’autre quand le service devient servitude pour celui qui le livre. Au contraire, l’accompagnement n’a rien à attendre de l’autre que sa présence. Si tel n’était pas le cas il n’y aurait autre chose qui en dériverait et deviendrait peut-être à ce moment « être au service ».
Il y a aussi une autre dimension qui vient opposer ces deux concepts, c’est la question de l’égalité dans le lien. Dans l’accompagnement les deux personnes sont toujours en position d’égalité tout en étant différentes du fait de leur singularité. Si tel n’est pas le cas elles ne sont plus dans le compagnonnage. Le fait d’être ensemble les met dans cette position de parité et crée une communauté de destin. Du côté de servir, là au contraire on est dans une inégalité du lien, car celui-ci est fondamentalement construit sur le rapport du maître à l’esclave ou celui qui doit obéissance au maître ou à celui qui fait commande. Dans le service, l’un demande, l’autre exécute, quand bien même, ce qui est souvent le cas dans le médicosocial, l’exécutant le fait dans la mesure où il peut y trouver une gratification, ne serait-ce qu’au niveau narcissique ou réparateur du sentiment d’être utile. Attendu, cependant qu’il n’est pas dans une position d’égalité avec celui qu’il doit servir.
Ces positionnements, pourvu qu’on les prenne bien en compte, rendent impossible la confusion de ces deux notions qui situent bien les postures professionnelles à des niveaux complètement opposés. Il serait intéressant de s’interroger pourquoi cette confusion et pourquoi celle-ci semble prendre de l’ampleur actuellement ? Certainement d’abord dans un souci de vouloir humaniser la relation d’aide et de tenter de créer un lien d’égalité entre l’aidant et l’aidé et ainsi éviter que l’un devienne l’objet de l’autre. Cependant cette position n’éclaircit pas pour autant ce type de relation, car celle-ci reste subordonnée à la demande d’aide et donc au service. La demande fait que l’aide qui découle de cette demande devient pour le coup un objet. Alors que l’accompagnement doit se construire indépendamment de cette demande, c’est-à-dire uniquement à partir de la dimension affective dans le sens du sympathique à partir duquel s’établit ce lien. Ici on se retrouve au cœur des contradictions qui traversent ces secteurs.