N° 865 | Le 13 décembre 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La tyrannie de la pénitence

Pascal Bruckner


éd. Grasset et Fasquelle, 2006 (259 p. ; 16,90 €) | Commander ce livre

Thème : Philosophie

Le « devoir de mémoire » tout comme la « repentance » sont devenus au cours des dernières décennies quasiment incontournables : il ne serait pas concevable de continuer à vivre autrement qu’avec la tête couverte de cendres ! Dans cet essai polémique, Pascal Bruckner revisite ces concepts, sans craindre de faire grincer bien des dents. Chacun y trouvera de quoi s’irriter ou se conforter dans ses convictions. Reste la dénonciation d’une idéologie laïque qui a remis au goût du jour la vieille notion de péché originel. Certes, l’Europe a enfanté des monstres et les pires horreurs : inquisition, colonialisme, nazisme, stalinisme… Mais, constate l’auteur, elle a aussi du même geste enfanté les théories qui ont permis de les détruire.

Formidable machine à produire le mal mais aussi à le contenir, elle a apporté à la fois le despotisme et la liberté et a donné à ceux qu’elle opprimait les moyens de leur émancipation. Depuis la Renaissance, elle s’est construite dans une pensée critique en acte, portant sur elle-même le regard d’un juge intransigeant. C’est le paradoxe des sociétés ouvertes et démocratiques que d’avouer leurs lacunes et leurs indignités là où les sociétés plus tyranniques semblent plus harmonieuses, du fait même qu’elles ne cessent de nier et camoufler leurs propres travers. C’est donc une preuve de grandeur que d’admettre ses égarements afin de ne pas les reproduire, à condition que ce « devoir de mémoire » serve non pas à répéter et s’enfermer dans les blessures d’hier, mais à se mobiliser face aux injustices pour éviter de les reproduire.

La souffrance tend trop souvent à devenir la seule source du droit, la grande supériorité du malheur sur le bonheur venant du fait qu’il procurerait un destin. Se poser en victime, c’est se doter du double pouvoir d’accuser et de réclamer, de jeter l’opprobre et de quémander. Le risque tient au fait que, « puisque nous avons tous dans notre arbre généalogique au moins un pendu, un serf, un prolétaire, un persécuté, on remontera jusqu’au Moyen Âge s’il le faut pour réclamer justice » (p.172). Chacun naîtrait alors avec un portefeuille de griefs qu’il devrait faire fructifier en mettant en scène sa propre détresse et en réussissant si possible à éclipser celle des autres pour obtenir d’être reconnu comme méritant.

Or, il n’y a pas de transmission héréditaire du statut de victime pas plus qu’il n’y en a du statut de bourreau. Il faut abandonner l’idée d’une réparation, terme à terme, des plaies du passé. Il ne faut pas que les excuses portant sur les délits passés permettent de se défausser sur les crimes présents. La meilleure victoire sur les exterminateurs, tortionnaires et négriers d’hier, c’est d’apprendre à vivre ensemble, avec des histoires différentes, c’est de réussir une coexistence avec des populations et des ethnies que les préjugés et mentalités décrétaient jadis incompatible.


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