N° 1330 | Le 3 janvier 2023 | Par Jérôme Fernandes, moniteur éducateur | Espace du lecteur (accès libre)
Un paradoxe veut que beaucoup d’handicapés visibles souhaiteraient l’être moins, alors que les handicapés invisibles, qui souffrent de n’être pas reconnus et qui doivent éternellement se justifier de leur handicap, souhaiteraient être plus visibles sans pour autant être stigmatisés.
J’ai 49 ans et depuis l’an 2000, je suis handicapé.
Dès 1995, en tant qu’objecteur de conscience, j’ai investi mon savoir-faire et être, comme une vocation en qualité de travailleur social.
Par la suite, je suis devenu éducateur.
Dès l’an 2000, j’ai rencontré cet immense obstacle de l’autre, comme par exemple un médecin de la maison départementale des personnes handicapées du Rhône qui assène d’une voix tranquille : « vous n’avez pas l’air si handicapé que cela ».
La violence d’un tel propos venant de quelqu’un représentant le corps médical du handicap, face à une personne malvoyante reconnue handicapée à 80 % soulève un immense malaise, déni, culpabilité et colère envers soi-même.
Par la suite, je n’ai cessé de rencontrer des personnes de mon entourage proche et lointain qui tenaient et avaient le même genre de propos et de pensées.
Par trois fois, lors de ma carrière au sein du corps médico-social, j’ai été confronté à la discrimination envers mon handicap et, bien que j’ai toujours été apprécié de manière professionnelle, j’ai dû me résoudre à quitter ces emplois à cause des pressions subies, de la non-volonté d’adapter mon poste de travail ou du refus de parler de mon handicap et de la gestion de celui-ci dans le cadre de mon travail.
Dernièrement, après avoir vécu un tel déchaînement de violence, de mépris, d’humiliation, j’ai fait un burn-out qui m’a amené à être en arrêt maladie jusqu’à ce jour.
En pensant à toutes ces personnes dont nous-mêmes nous faisons peut-être partie, j’ai cette phrase de Carl Yung qui me vient à l’esprit : « Penser est difficile, c’est pourquoi la plupart se font juges ».
Ce qui ne se voit pas
Comme douze millions de personnes vivant en France, je suis en situation de handicap et comme 80 % de ceux-ci j’ai un handicap invisible : je suis malvoyant, épileptique, une hémiparésie gauche, sans parler de leurs conséquences tout autant handicapantes.
Néanmoins, il n’y a pas qu’un seul handicap invisible.
Sont considérées comme telles, toutes les maladies chroniques, comme le cancer, la sclérose en plaques, l’épilepsie, les traumatismes crâniens, la surdité, la schizophrénie, etc.
Qu’est-ce qu’il y a de si particulier dans un handicap invisible ?
Tout d’abord, du fait de son invisibilité au regard de l’autre, ce dernier se méfie de sa réalité, sous forme de déni, il subodore qu’un handicap doit lui apparaître, il ne peut pas être dans une forme de virtualité dont il ne peut avoir conscience.
En effet, il peut tout à fait mesurer les difficultés d’un handicapé en fauteuil, ou bien d’un trisomique. Alors que face à un handicap dont presque uniquement l’intéressé peut quantifier toutes ses difficultés et ses souffrances à vivre dans un monde qui ne le prend pas ou peu en compte, l’autre est démuni et la différence fait peur.
De ce fait, le handicap invisible devient dans notre société un tabou, une phobie qu’il vaut mieux repousser qu’inclure.
Aujourd’hui, et je sais bien de quoi je parle, le handicap est la première forme de discrimination au travail.
Au-delà et de manière globale dans notre société, nous connaissons également une discrimination qui commence tout d’abord par sa sphère sociale qui ne comprend pas ces changements subis par la personne handicapée et qui rend ses proches dans une incompréhension telle qu’elle peut aller jusqu’au rejet total.
Ensuite, il y a la sphère extérieure, celle du dehors qui est encore plus violente, car même si d’énormes efforts ont été faits pour faciliter l’accès des handicapés, comme pour les services publics, restaurants, bus, culture… cela correspond-il aux 80 % d’invisibles ?
Ma réponse est globalement non !
En effet, les politiques publiques préfèrent s’attacher au mieux-être des handicapés visibles dans la société avant de s’attaquer tout d’abord à l’être et le bien-être de tous ceux touchés par un handicap.
Il y a du chemin, mais tout commence par un investissement politique, à petite, moyenne et grande échelle.
Par plusieurs points, je vais humblement essayer de répondre à quelques problèmes solubles.
Des solutions existent
Comme dit précédemment, parmi les douze millions de français touchés par un handicap, seulement un sur cinq présente un handicap visible.
Autrement dit, dix millions de Français vivent avec un handicap qui n’est pas perceptible au premier regard.
La majorité des implications des pouvoirs publics face à ce problème sont quasi nulles, car presque aucune information, protection, prévention n’existent à leur sujet.
Il est beaucoup plus facile d’ergoter sur la mise en place de possibilité de faire du vélo en tant qu’handicapé, que d’alerter le public sur les causes et les conséquences qu’a un handicap invisible sur la personne, son entourage, sa vie sociale et professionnelle.
En effet, de nombreuses villes à Lyon ou ailleurs ont des panneaux d’affichage numériques ou publicitaires.
On y voit parfois des publicités pour la protection de l’enfance, la prévention de certains cancers, sur le tous genrés et racisés et le vivre ensemble.
Mon propos ne se veut pas réducteur, mais veut inclure tout le monde dans le même monde et il serait peut-être temps également de voir fleurir par exemple des panneaux sur le handicap, l’isolement que cela produit, avec la double peine qu’ont engendré les confinements successifs dus au COVID.
Cet isolement amène trop souvent à des dépressions sérieuses, des burn-out et au suicide.
Le suicide touche trois fois plus les personnes handicapées.
Malheureusement face à cette réalité que l’on ne veut pas voir, les pouvoirs publics et politiques ne diligentent aucune étude sur ces sujets où soulager la souffrance humaine des handicapés devient bien secondaire.
En France, plus de 20 % des plaintes pour discrimination viennent du handicap.
Ainsi il est de bon ton de se pencher sur leur cas et sur tous ceux qui préfèrent ne rien en dire et ne pas le dénoncer.
En effet si, de tous ces chiffres qui sont vérifiables, nous insérons les handicapés invisibles, cela conclut à une énormité de personnes en grande souffrance, sociale, psychologique et souvent économique dont le politique prend peu ou pas compte dans les moyens qu’il veut mettre en place dans sa politique face à ses citoyens que lui-même, consciemment ou inconsciemment, ne prend pas en compte.
Comme certains employeurs qui préfèrent ignorer, voire mépriser, un salarié en situation de handicap invisible, le politique a souvent cette même attitude, par peur, tabou, ou caractère financier.
Par conséquent, le salarié, le citoyen, même compétent et actif, ne peut pas avoir une attitude complètement investie, que ce soit dans le travail ou dans ses devoirs citoyens.
C’est pour cela que même si je suis minoritaire, pour cette cause essentielle à défendre, je veux m’investir pleinement sur ces axes fondamentaux, comme étant un citoyen complètement concerné par cette cause nécessaire pour le vivre ensemble.
Nombreux, comme moi, sont ceux qui ne se satisfont pas de leur situation sociale professionnelle…
Par mon expérience, personnelle, professionnelle, je m’adresse à vous pour pouvoir m’impliquer pleinement et à mon rythme d’handicapé, pour pouvoir discuter avec vous et essayer de trouver des moyens qui puissent combler les lacunes en matière de politique publique sur le sujet du handicap invisible et faire en sorte d’être bon, ambitieux, voire pionnier dans les réponses à apporter.