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🖋 Autoportrait de travailleur social âą Jean-Marie Vauchez, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© et formateur, membre du Haut conseil du travail social (HCTS)
« Une amertume mâa saisi dĂšs mes dĂ©buts et ne mâa pas lĂąchĂ© : le constat que notre mĂ©tier serait tellement plus efficace sans cette profusion de normes et de politiques dĂ©biles qui le plombent. »
Quel mot associez-vous spontanément au travail social ?
Rencontres.
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
Je nâai pas choisi ce mĂ©tier, il est venu Ă moi. Je faisais des Ă©tudes de sport pour devenir moniteur dâescalade ou guide de haute montagne lorsque le service militaire mâa rattrapĂ©. Jâai choisi de faire une objection de conscience dans un gĂźte Ă Vallorcine, au-dessus de Chamonix oĂč jâaccompagnais des personnes en haute montagne. AprĂšs plusieurs saisons, jâai poursuivi dans une MJC oĂč je pouvais exercer comme moniteur dâescalade. Câest lĂ que jâai rencontrĂ© des jeunes dâun institut thĂ©rapeutique Ă©ducatif et pĂ©dagogique (ITEP) avec lesquels jâai bien accrochĂ©. Le directeur mâa proposĂ© dâintĂ©grer leurs effectifs. comme Ă©duc sportif. Jâai adorĂ© ce travail oĂč jâai mĂȘme accompagnĂ© un groupe dâenfants jusquâau sommet du Mont-Blanc ! AprĂšs deux ans, jâai choisi de commencer une formation dâĂ©ducateur spĂ©cialisĂ©.
Quelle formation avez-vous suivie ?
Jâai suivi la formation dâĂ©ducateur spĂ©cialisĂ© dans une Ă©cole de Lyon qui sâappelait « Recherche et Promotion ». Cette Ă©cole avait un principe : tous les Ă©tudiants devaient ĂȘtre en situation professionnelle et tous les formateurs sur le terrain, en plus de leur activitĂ© de formation.
Finalement, pour un Ă©duc, je nâai pas Ă©tĂ© trĂšs transgressif, puisque jâai repris cette formule dĂšs que jâai pu. Encore aujourdâhui, je travaille dans un foyer dâaccueil pour travailleurs en Ă©tablissement et service d’aide par le travail (ESAT) en plus de mon activitĂ© de formateur. En 2004, Joseph Rouzel mâa donnĂ© la chance dâessayer la formation et je nâai jamais arrĂȘtĂ©. Actuellement, je passe environ trente journĂ©es par ans dans les Ă©tablissements pour des formations intra : institut mĂ©dico-Ă©ducatif (IME), maison dâenfants Ă caractĂšre social (MECS), ITEP, maison dĂ©partementale des solidaritĂ©s (MDS) et je coordonne lâĂcole de la protection de lâenfance avec mon ami Thierry Arnoux, sous lâautoritĂ© administrative de Karine Senghor et Marie-Paule Martin-Blachais pour la dimension scientifique. En 2021, aprĂšs cinq annĂ©es de fonctionnement, nous avons eu quinze diplĂŽmĂ©s au Master de cadre en protection de lâenfance et plus de sept cent cinquante professionnels sont venus entendre nos confĂ©rences.
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Il y a quelque temps, un jeune homme, que jâavais accompagnĂ© il y a longtemps, mâa contactĂ© aprĂšs mâavoir cherchĂ© sur les rĂ©seaux sociaux. Il souhaitait me dire quâil avait une vie qui lui plaisait, une compagne avec laquelle il la partageait et plusieurs enfants. Sur le plan professionnel il Ă©tait Ă©galement trĂšs content de me dire que tout allait bien. Pour moi, le cĆur de notre mĂ©tier nâest pas dâintervenir sur la surface des choses, mais bien dâaider des personnes Ă mieux vivre sur le plan professionnel et personnel. Si, dans mon mĂ©tier, jâai permis Ă quelques personnes de dĂ©passer leurs difficultĂ©s pour mieux vivre, alors je suis content !
Le pire ?
Le dĂ©cĂšs de plusieurs personnes que jâai accompagnĂ©es. Cela fera trente ans lâannĂ©e prochaine que jâexerce ce mĂ©tier et cela nâattĂ©nue pas le choc de ce genre de drame. Que ce soit lâado qui se tue en voiture ou la personne adulte qui dĂ©cĂšde brutalement dâune maladie, cela me renvoie toujours Ă une forme dâhumilitĂ© : notre mĂ©tier dâĂ©duc est un mĂ©tier dâaccompagnement des personnes dans leur existence, mĂȘme dans ce quâelle a de plus de plus tragique.
Une amertume mâa saisi dĂšs mes dĂ©buts et ne mâa pas lĂąchĂ© : le constat que notre mĂ©tier serait tellement plus efficace sans cette profusion de normes et de politiques dĂ©biles qui le plombent. Câest pour cela que jâai acceptĂ© une place de personne qualifiĂ©e au Conseil supĂ©rieur du travail social (CSTS), puis dây siĂ©ger au titre de lâOrganisation nationale des Ă©ducateurs spĂ©cialisĂ©s (ONES) - qui sâest crĂ©Ă©e entre temps et dont jâai acceptĂ© la prĂ©sidence - et enfin dâentrer au Haut conseil du travail social (HCTS) ainsi quâau Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). AprĂšs presque quinze ans, le bilan est mitigĂ©. Ce sont des instances entiĂšrement bĂ©nĂ©voles dont les frais (de dĂ©placement surtout) sont mal remboursĂ©s et jâai toujours dĂ» prendre des heures de rĂ©cup ou de congĂ© pour participer aux travaux. Par ailleurs, il faut faire le pas de sâadresser Ă des politiques ou des administratifs qui ne parlent pas du tout notre langue et enfin, dĂ©couvrir que les « travailleurs sociaux » sont particuliĂšrement divisĂ©s. Cependant, je pense quâil faut en passer par lĂ pour porter la voix des Ă©ducs de terrain⊠et cela a pu peser, parfois, jâespĂšre âŠ
Quel est votre livre de chevet ?
Je lis beaucoup ce qui va dans mon sens (Rouzel bien sĂ»r, mais aussi Gaberan, Cartry, Fustier, ChauviĂšre, etc.) mais aussi ceux qui nâont pas la mĂȘme conception du travail que moi (Loubat, Savignat, BarreyreâŠ) et je suis toujours surpris de ce que ces derniers peuvent mâapporter, et pas seulement comme contre-exemples, et de ce que les premiers me contredisent souvent ! Mais sur ma table de nuit, il y a Vraie lumiĂšre nĂ©e de vraie nuit, un recueil de poĂšmes de François Cheng (Ăd. Cerf, 2009). Le soir, il faut savoir dĂ©brancher, Ă©couter de la musique et lire quelques poĂšmes.
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
🖋 Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice
🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents
🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social
🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »
🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999
🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie
🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur
🖋 FrĂ©dĂ©ric Maignan, formateur indĂ©pendant en travail social
🖋 Ămilie Mocellin, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e indĂ©pendante
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