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🖋 Autoportrait de travailleur social âą Julie Plossard Marchadier, cadre socio-Ă©ducatif dâun Ă©tablissement dâhĂ©bergement pour personnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes (Ehpad) dans lâHĂ©rault.
« Avant dâĂȘtre des professionnels, nous sommes des personnes avec des limites, ni omnipotents, ni omniprĂ©sents⊠»
Quels mots associez-vous spontanément au travail social ?
Famille ! Mes parents Ă©taient Ă©ducateurs spĂ©cialisĂ©s, mon pĂšre directeur dâun institut mĂ©dico-Ă©ducatif (IME) et nous vivions dans son logement de fonction. Jâai vu ma mĂšre expĂ©rimenter tous les services de lâĂ©tablissement et mon pĂšre avec un dĂ©vouement et une disponibilitĂ© quasi-permanente. Jâai grandi dans cet esprit, en contact quotidien avec les enfants de lâIME et des professionnels : le travail social est dans mes gĂšnes !
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
Il sâagit dâune reconversion aprĂšs dix ans dans le secteur du commerce, dans lequel je ne trouvais plus de sens, malgrĂ© de nombreux parallĂšles avec le travail social : les relations humaines y sont centrales ainsi que la satisfaction de besoins, de demandes ; mais les objectifs diffĂšrent ! Ă 30 ans, jâai repris les Ă©tudes. Jâavais mĂ»ri et lâenvie de me rendre utile, de faire un mĂ©tier humain et non Ă visĂ©e lucrative. Jâai pris tardivement le chemin de mes parents.
Quelles formations avez-vous suivies ?
Jâai suivi le brevet de technicien supĂ©rieur en Ă©conomie sociale familiale (ESF) par correspondance puis jâai obtenu un financement pour le diplĂŽme dâĂtat de conseillĂšre en ESF par le Fongecif, avec le soutien de mon employeur dâalors, une grande enseigne de bricolage. Durant trois ans, lors de tous les stages rĂ©alisĂ©s, je me suis consacrĂ©e aux personnes Ă la rue Ă travers de nombreux dispositifs : accueil de jour, centre dâhĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale, maraudes, lits halte soins santĂ© (LHSS). Jâai apprĂ©hendĂ© lâimportance dâun parcours dâaccompagnement adaptĂ© aux situations, projets ou difficultĂ©s. AprĂšs le DECESF, jâai rĂ©ussi le concours du certificat dâaptitude aux fonctions dâencadrement et de responsable dâunitĂ© dâIntervention sociale (CAFERUIS) mais ne suis pas entrĂ©e Ă lâĂ©cole. Jâai rejoint mon employeur actuel en tant que faisant fonction cadre dâune plateforme dâaccompagnement des aidants puis dâun accueil de jour pour malades neuro-Ă©volutifs. AprĂšs quelques annĂ©es, jâai dĂ©crochĂ© le CAFERUIS par la validation des acquis de lâexpĂ©rience puis rĂ©ussi le concours de la fonction publique hospitaliĂšre. Comme les usagers accompagnĂ©s, nous pouvons aussi connaĂźtre un parcours atypique selon notre chemin de vie, Ă travers diffĂ©rents dispositifs !
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Le plus marquant est un voyage pour les couples aidants/aidĂ©s. Un couple, dont lâĂ©poux souffrait dâune maladie de Parkinson avancĂ©e, a rejoint le groupe de voyageurs, et ce malgrĂ© les difficultĂ©s auxquelles nous savions nous exposer. Tous deux adoraient les voyages mais le dernier avait selon eux tournĂ© au fiasco. Ce monsieur, fragile et difficilement mobilisable, nâavait presque plus dâappuis, nĂ©cessitait des soins rapprochĂ©s et des dĂ©placements en fauteuil roulant. La semaine a Ă©tĂ© difficile physiquement pour les accompagnateurs⊠Nous avons Ă©tĂ© soutenus par une grande solidaritĂ© et entraide : les autres participants ont Ă©tĂ© gentils et agrĂ©ables, ils ont intĂ©grĂ© le couple, aidĂ© Ă transporter le matĂ©riel, Ă dĂ©placer le fauteuil⊠et il y a eu cette soirĂ©e ! Ce monsieur Ă©tait transportĂ© par la bonne humeur ambiante : il a pris le micro et a chantĂ©, tout doucement. Tout le groupe lâa Ă©coutĂ© et a fini par chanter avec lui. Je nâai jamais vu autant de bienveillance et le bonheur sur son visage a effacĂ© toute la fatigue ! Il a ensuite voulu danser avec moi, jâai acceptĂ© (non sans inquiĂ©tude) ! Il a dansĂ© une salsa, Ă son rythme mais avec envie et tout sourire, sous les applaudissements ! Il est dĂ©cĂ©dĂ© depuis. Quand je repense Ă lui, je le vois, ce soir-lĂ , tellement heureux ! Câest pour ces moments que je fais ce mĂ©tier.
Le pire ?
Il sâagit du dĂ©cĂšs dâun bĂ©nĂ©ficiaire de lâaccueil de jour. JâĂ©tais enceinte et presque en congĂ© maternitĂ© lorsque ce monsieur a disparu en sortant, seul. Ses troubles cognitifs, consĂ©quences de la maladie neuro-Ă©volutive dont il souffrait, le poussaient Ă chercher la maison de son enfance. Il est parti de chez lui, a dĂ» certainement se perdre et son corps a Ă©tĂ© retrouvĂ© plusieurs mois plus tard. CâĂ©tait tragique. Les efforts de sa famille et des professionnels dĂ©ployĂ©s autour de lui nâauront pas suffi Ă Ă©viter ce dĂ©nouement ; pour autant sa libertĂ© dâaller et venir a Ă©tĂ© respectĂ©e. Je garderai toujours un sentiment dâinachevĂ©, notamment en raison de mon absence pendant la pĂ©riode de recherche et lorsquâil a Ă©tĂ© retrouvĂ©. Je nâai pas pu accompagner cette famille dans cette Ă©preuve et je le regrette, et ce mĂȘme si je suis consciente que ça nâaurait rien changĂ© Ă la situation. Avant dâĂȘtre des professionnels, nous sommes des personnes avec des limites, ni omnipotents, ni omniprĂ©sents, câest ce que jâen retiendrai.
Quel est votre livre de chevet ?
Jâai Ă©tĂ© bouleversĂ©e par Les naufragĂ©s. Avec les clochards de Paris, de Patrick Declerck (Ăd. Plon, 2001), lu lors de la rĂ©daction de mon mĂ©moire sur les conduites dâalcoolisation des grands marginaux. Jâai Ă©tĂ© touchĂ©e par sa construction atypique avec une premiĂšre partie consacrĂ©e Ă « lâimmersion » de lâauteur : il se fait passer pour un sans domicile et se laisse emmener dans un lieu dâaccueil pour vivre le quotidien des indigents pendant plusieurs semaines. Il partage cette expĂ©rience, on ne peut plus rĂ©elle, qui pour moi est aussi parlante que les plus grandes Ă©tudes. Jâai Ă©tĂ© frappĂ©e par la derniĂšre scĂšne dĂ©crite qui a mis fin Ă cette expĂ©rience, lorsquâil Ă©vite de peu dâĂȘtre blessĂ© par une seringue quâil savait infectĂ©e par lâhĂ©patite. La deuxiĂšme partie est une analyse mĂ©thodologique passionnante de son expĂ©rience. Je conseille ce livre !
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
🖋 Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice
🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents
🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social
🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »
🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999
🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie
🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur
🖋 FrĂ©dĂ©ric Maignan, formateur indĂ©pendant en travail social
🖋 Ămilie Mocellin, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e indĂ©pendante
🖋 Ingrid Romane, Ă©ducatrice en maison dâenfants Ă caractĂšre social dans le var
🖋 Xavier Bouchereau, chef de service en protection de lâenfance et consultant indĂ©pendant
🖋 StĂ©phanie Liatard, travailleuse sociale au QuĂ©bec, Canada
🖋 Audrenne Henke, directrice dâĂ©tablissement.
🖋 VĂ©ronique Escames, auxiliaire de puĂ©riculture en crĂšche municipale dans les Yvelines
🖋 Christophe Ferreira, cadre Ă©ducatif sur un secteur de pĂ©dopsychiatrie, dans les Hauts-de-Seine.
🖋 Flore Lempereur, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e, UnitĂ© des informations prĂ©occupantes, Nice