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🖋 Autoportrait de travailleur social âą Linda Bali, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en protection de lâenfance, assistante familiale au sein de lâaide sociale Ă lâenfance.
« La notion de cĆur est rarement Ă©voquĂ©e dans le travail social, lâĂ©motion et la passion avec lesquelles la qualitĂ© dâun travail social se reconnaĂźt »
Quel mot associez-vous spontanément au travail social ?
SpontanĂ©ment, aucun mot juste ne me vient. Le travail social, c’est tellement horrible, passionnant, fascinant, dĂ©solant, indispensable, fatigant, structurant, Ă©vident. Je pense que les mots « juste » et « injuste » peuvent ĂȘtre choisis de la mĂȘme maniĂšre pour qualifier les dispositifs dâaccompagnement, de soutien, de protection des publics. Juste, au sens Ă©vidence. Les justes aides sociales qui existent, les structures dâaccueil et de soin, les milliers dâassociations qui se battent sans un sou pour les plus nĂ©cessiteux, les plus en danger. Et en mĂȘme temps c’est tellement injuste de ne pas avoir les moyens suffisants, les outils efficaces, les places d’accueils adĂ©quates, les formations des professionnels Ă la hauteur des exigences de terrain pour Ćuvrer Ă un travail social de qualitĂ©. Je prĂ©pare actuellement un article mettant en lumiĂšre la nĂ©cessitĂ© de rĂ©flĂ©chir non pas Ă un Ă©niĂšme protocole, rapport, Ă©tat des lieux, mais Ă fonder ce que je nomme « une culture commune du travail social ».
Chaque annĂ©e, la non-protection des enfants, les conditions de vie de leurs mĂšres ou pĂšres victimes de violences conjugales font la Une des journaux et prennent une place importante dans le quotidien des revues-livres-films-articles-lois. LâĂtat sâinquiĂšte quelques temps. Trop peu dâactions sâen suivent. Il y a de nombreuses prises de conscience, seulement Ă©phĂ©mĂšres. Lâinceste par exemple est Ă©crit partout et semble Ă©tonner tout le monde lâespace dâune semaine. Au bout de dix ans dâactivitĂ© dans le social, jâai compris que ça ne finirait pas car ces faits ne sont pas considĂ©rĂ©s et surtout surtout restent impunis !
Au vu et Ă la lecture de tout ce qui sâest redit une fois de plus en 2021 sur les violences conjugales, les violences sexuelles, le harcĂšlement scolaire, la prostitution des mineurs, les maltraitances sur enfants y compris sur les enfants confiĂ©s au service de lâĂtat de lâaide sociale Ă lâenfance, je pense quâil est nĂ©cessaire de comprendre que la protection de lâenfance nâa jamais Ă©tĂ© remise en question. Sans parler de rĂ©forme, de refonte, dâenchantement ou dâembellissement de la protection de lâenfance, il serait intelligent, comme je lâai indiquĂ©, de penser Ă cette notion de culture commune de la protection de lâenfance et du travail social. Lâopinion publique est loin de sâimaginer tous les dysfonctionnements des services dâĂtats qui concourent au travail social. Et en parallĂšle, elle nâa pas idĂ©e de la masse importante de personnes de bonne volontĂ©, de talents et dâexperts qui circulent comme des fourmis auprĂšs des parents et dans les situations des familles quâils prennent en charge.
Mon exemple aujourdâhui de travail social est lâAssociation IntermĂšdes Robinson de Laurent Ott en Essonne et La Maison des Femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) (1) dirigĂ©e par Ghada Hatem.
Câest un travail social qui part du cĆur, qui parle la langue du public accueilli et qui parle au cĆur des familles prises en charge sĂ©rieusement par ces institutions. Il est rarement Ă©voquĂ© cette notion de cĆur dans le travail social, lâĂ©motion et la passion avec lesquelles la qualitĂ© dâun travail social se reconnaĂźt. Alors pour finir, le mot qui me vient Ă lâesprit concernant le travail social, est le mot cĆur. Le cĆur professionnel. Sâil ne bat pas, il meurt. Et en ce moment, il a les artĂšres bouchĂ©es.
« Cette photo illustre le cĆur de mon travail : ĂȘtre auprĂšs des enfants dans l’Ă©coute et la prĂ©sence ».
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?
Je pense que câest au fil et Ă mesure de ma carriĂšre professionnelle que je comprends les raisons de ce choix. Au dĂ©but, câest simplement le mot qui me parle sans savoir tout ce qui mâattend. Et lâessence de ce choix vient Ă©clore quotidiennement.
La premiĂšre raison est que je voulais sauver le monde et plus particuliĂšrement tous les enfants malheureux. La seconde : je voulais permettre aux enfants de dĂ©couvrir le monde, la culture, l’art. Je voulais toujours crĂ©er des espaces de jeux, de bien ĂȘtre, d’Ă©panouissement. Je voulais qu’ils soient heureux, Ă l’abri des problĂšmes familiaux et sociaux et que mes interventions constituent un tremplin pour penser et foncer vers un avenir honorable. La troisiĂšme : je voulais plus que tout dĂ©fendre les parents incompris, jugĂ©s, menacĂ©s, dĂ©nigrĂ©s. Je voulais leur dĂ©rouler un tapis rouge Ă chaque fois qu’ils Ă©taient malmenĂ©s par les institutions et que leurs droits n’Ă©taient pas dits et respectĂ©s. Je voulais mettre en lumiĂšre leurs compĂ©tences, mettre en avant leur intuition, mettre en valeur leurs talents du quotidien.
Aujourd’hui, la raison de mon mĂ©tier est d’ĂȘtre lĂ auprĂšs des enfants et des parents pour tous ces motifs.
Ătre lĂ avec la richesse de mon expertise, mes valeurs et une Ă©thique.
Quelles formations avez-vous suivies ?
Jâai passĂ© mon Brevet dâĂtat aux fonctions dâanimateur (BAFA) pour commencer Ă travailler au plus prĂšs des enfants. TrĂšs rapidement, je me suis vu confier des postes Ă responsabilitĂ©s tel que coordinatrice de lâespace enfant dâun centre social, responsable de sĂ©jours et responsable de projets dâanimation socio-culturels.
Ensuite, j’ai choisi le cursus de formation Ă l’Institut rĂ©gional de travail social de Montrouge. J’ai suivi un double cursus pour obtenir Ă la fois mon diplĂŽme d’Ătat d’Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e et une licence en action Ă©conomique et sociale. Jâai effectuĂ© mes stages en protection de lâenfance, dans le champ du handicap et aussi dans un service dâinsertion et de probation. La justice mâintĂ©resse et celle des mineurs tout particuliĂšrement.
Il y a cinq ans, aprĂšs avoir exercĂ© la profession dâassistante familiale pendant cinq ans, jâai choisi de valider cette expĂ©rience par le biais de la VAE. Jâai depuis obtenu avec grand succĂšs mon diplĂŽme.
Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
Je crois que c’est d’avoir vu mon nom sur la liste des reçus au diplĂŽme d’Ătat. C’est pour moi l’accĂšs reconnu au travail auprĂšs des familles et la considĂ©ration de pouvoir devenir une actrice sociale. S’en est suivi un tas de souvenirs de sourires d’enfants et de satisfaction des papas et mamans. Tous les jours, il y a une part de bons souvenirs lorsque lâon travaille avec lâhumain. Câest loin dâĂȘtre un travail facile mais ce que nous apportent les relations humaines est tout de mĂȘme sans pareil.
Le pire ?
Apprendre lâincarcĂ©ration dâun jeune mineur dont je suis rĂ©fĂ©rente. Demander un parloir pour ce jeune qui Ă©tait un de nos protĂ©gĂ©s, a Ă©tĂ© une Ă©preuve. Le savoir entre quatre murs, une dĂ©chirure. Je pense dâemblĂ©e Ă lâĂ©chec, Ă ce que je nâai pas bien fait ou mal entrepris pour lui. Lorsque je passe avec mon collĂšgue Nicolas, le sas de sĂ©curitĂ© avant le parloir dans un carrĂ© pendant une heure avec un gamin dont je sais pertinemment qu’il n’a rien Ă faire en incarcĂ©ration, câest une dĂ©ception. Je sais qu’il est cruellement victime de son enfance et les petits actes quâil a commis ne sont que des appels au secours. Je me souviens en sortant de la prison, en avoir voulu au monde entier.
Quel est votre livre de chevet ?
La fabrique des enfants anormaux, de Thierry Delcourt (Ăd. Max Milo, 2021) qui est extraordinairement bien Ă©crit. Il peut permettre Ă de nombreux parents de gagner du temps, de garder leur argent dĂ©pensĂ© ici et lĂ pour diagnostiquer les difficultĂ©s de leurs enfants et de garder confiance en eux. Ce livre explique tout en finesse avec des exemples concrets, comment et pourquoi beaucoup trop dâenfants se retrouvent trĂšs maladroitement sur le banc des anormaux. Il souligne magistralement combien la souffrance humaine est mal connue.
Laisse pas traĂźner ton fils, de Rachid Santaki (Ăd. Filature (s), 2020). Ce sont des personnalitĂ©s comme Monsieur Santaki que lâon devrait trouver dans les cours de pĂ©dagogie ou dâĂ©ducation spĂ©cialisĂ©e afin dâenseigner aux professionnels de lâenfance les ravages des rĂ©seaux sociaux et des applications devenus outils de guet-apens. Ce roman est une paire de jumelles sur lâenfance et sa construction, les liens familiaux et leur fragilitĂ©, les liens amicaux et leurs forces, au sens nĂ©gatif. Comme une Ă©criture sociologique et psychologique, Laisse pas traĂźner ton fils a ses raisons de nous alerter sur la maniĂšre dont des jeunes sont capturĂ©s par la rue, la haine, les frĂ©quentations. Une belle leçon oĂč lâon comprend que lâon est selon oĂč lâon naĂźt.
Lire la critique de Jacques Trémintin de La fabrique des enfants anormaux
(1) Ă lire :
Retrouvez les précédents autoportraits
🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Ăducateurs et dâun lieu de vie et dâaccueil
🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative
🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes
🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain
🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur
🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)
🖋 Sadek Deghima, chef de service dâun club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e
🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice
🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents
🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social
🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »
🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999
🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie
🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur
🖋 FrĂ©dĂ©ric Maignan, formateur indĂ©pendant en travail social
🖋 Ămilie Mocellin, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e indĂ©pendante
🖋 Ingrid Romane, Ă©ducatrice en maison dâenfants Ă caractĂšre social dans le var
🖋 Xavier Bouchereau, chef de service en protection de lâenfance et consultant indĂ©pendant
🖋 StĂ©phanie Liatard, travailleuse sociale au QuĂ©bec, Canada
🖋 Audrenne Henke, directrice dâĂ©tablissement.
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