■ ACTU - Calais • Casser la solidarité
« Il est interdit toute distribution gratuite de boissons et denrées alimentaires dans les rues listées ci-dessous ». Cet arrêté préfectoral du Pas-de-Calais a été remis le jeudi 10 septembre par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à la maire de Calais, Natacha Bouchart. Un texte pensé pour éviter d’être retoqué en justice comme l’ont été les multiples tentatives d’arrêtés municipaux pour interdire ces distributions alimentaires aux exilés de Calais. Un appui fort pour la politique de la maire de Calais et « une nouvelle démonstration du harcèlement dont font l’objet les défenseurs des droits des migrants dans la région », s’insurge Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty international France.
L’arrêté qui court jusqu’au 30 septembre délimite des rues du centre-ville interdites aux distributions. L’association Saalam est notamment visée. « Nous donnons tous les matins des petits déjeuners dans le centre-ville, nous faisons également le tour des différents campements, au total environ 1000 petits déjeuners chaque jour », détaille Claire Millot de Saalam. Vendredi matin, l’association a poursuivi son action. « Nous nous étions dit qu’ils n’oseraient pas intervenir aussi vite, le matin de la publication de l’arrêté… », explique-t-elle. Ils ont pourtant osé. Sept bénévoles de l’association ont été verbalisés pour ne pas avoir respecté l’arrêté. « Nous avons l’intention de contester ces PV mais pour l’instant c’est compliqué parce que les policiers n’ont donné aucun papier. Ils ont dit aux bénévoles qu’ils les recevraient chez eux ». Depuis, l’association s’est déplacée de quelques rues pour sortir de la zone interdite.
Verbalisation des bénévoles
L’association Utopia56 ne change rien à ses pratiques. « Nous n’allons pas nous retirer du terrain parce qu’il y a des besoins que l’Etat ne couvre pas donc quitte à se faire verbaliser, on continue », affirme Pierre Roques, coordinateur de l’association pour Calais. Son équipe ne distribue pas de repas mais va à la rencontre des nouveaux arrivants dans le centre-ville pour essayer de répondre à leurs besoins, donner des boissons chaudes et de l’eau. « Un de nos bénévoles a été verbalisé et les policiers ont pris les identités des autres en leur disant qu’ils allaient l’être », témoigne Pierre Roques. Même chose à l’Auberge des migrants qui compte deux verbalisations, là encore annoncées à l’oral sans papier délivré. Pourtant l’association distribue 200 à 300 repas par jour à la limite de la zone interdite, dans un endroit en principe « autorisé ». « Mais depuis le 11 septembre, la police nous visite tous les jours pour nous mettre la pression, comme nous l’a dit le numéro deux de la police calaisienne : « Vous comprenez l’esprit de l’arrêté, c’est qu’il n’y ait plus de distributions en centre-ville » », rapporte François Guennoc de l’Auberge des migrants.
- Deux fois par semaine, l’Auberge des migrants distribue 1200 sachets avec de quoi manger pendant une journée.
Zone interdite
La préfecture est claire : « la localisation des dispositifs humanitaires doit être et rester localisée à l’extérieur du centre-ville, dans des lieux suffisamment éloignés des secteurs habités et des grandes voies de circulation ». La Vie Claire, seul opérateur mandaté par l’Etat pour distribuer des repas, se trouve en effet sur deux points éloignés d’environ 40 minutes à pied du centre-ville. Elle distribue, selon les chiffres de l’Etat, 2000 repas par jour depuis le mois de septembre. Mais elle touche deux campements sur les sept que comptent actuellement Calais. « Beaucoup d’exilés vivent au centre-ville depuis les deux gros démantèlements du mois de juillet, explique Pierre Roques. Le premier a eu lieu le 10 juillet, lors de la visite de Gerald Darmanin. Environ mille personnes ont été expulsées d’une zone industrielle à la périphérie de Calais, justement proche des distributions de repas de la Vie active. Les personnes se sont alors retrouvées en errance dans le centre-ville où elles ont trouvé refuge sous les ponts, près des canaux… ».
Associations ciblées
Une partie s’est réinstallée dans les bois, un campement qui lui même a été démantelé le 30 juillet…. Pour Pierre Roques, cet arrêté s’inscrit dans une politique de criminalisation de l’action associative. Les 15 à 20 bénévoles de son association sont « constamment victimes de harcèlement policier et d’intimidation, leurs voitures font l’objet de contrôles parfois jusqu’au niveau du liquide lave-glace…. Il faut que nous soyons irréprochables car la moindre défaillance sera utilisée contre nous ». Des pratiques qui dépassent aujourd’hui la seule ville de Calais comme le révèle le rapport de l’Observatoire des libertés associatives qui doit sortir dans les prochains jours.