L’Actualité de Lien Social RSS


■ ACTU - Exposition : chants d’exil




À Paris, le Conservatoire des arts et métiers (Cnam) présente « Douce France : des musiques de l’exil aux cultures urbaines ». Une exposition sensorielle, solaire et ludique dédiée au métissage culturel autour de la personnalité de Rachid Taha. Cet artiste engagé a donné ses lettres de noblesse au rock arabe. L’exposition permet de traverser de décades en décades les années 60, 70, 80 et 90.


Années 60. Le cabaret El Djazair, Les Nuits du Liban, Les Nuits d’Alger, La Maison Blanche, La Casbah, La Koutoubia, le Tam Tam. Des lieux culturels pour l’Intelligentsia parisienne, tandis que les brasseries et cafés tels Le Cheval ou le Foliées accueillent plutôt les travailleurs immigrés, à Barbès et à Belleville. D’un côté, les Parisiens apprécient les danses orientales, les orchestres à base d’Oud, banjo, gasba, derbouka, mandole, banjo, autour de vedettes comme Noura et Kamel Hamadi, El Thalia, Saloua, Noura, Bond Bond et Joseph Hagège. De l’autre, la musique se démocratise grâce au Scopitone (juke box à images) qui permet de diffuser des clips en couleur, de grandes voix du monde arabe. Les chanteurs de l’exil popularisent le chaabi algérois, avec des artistes comme Abderrahmane Amraoui et sa chanson Ya Rayah (Celui qui s’en va), Warda el Djazairia, Mohammed Jamoussi avec Bladi ya bladi (Pays, ô mon pays), José de Souza, avec Ya oumi (Ô maman).


Mobilisations sociales

Années 70. Sur le sol français, de terribles crimes racistes donnent lieu à de fortes mobilisations sociales (Renault, Flins) et politiques pour revendiquer un droit de séjour plus sûr, des lois pour de meilleures conditions de travail, le relogement des personnes vivant en foyer, l’accès à de vrais droits culturels. Ces mouvements développent une scène musicale autonome autour de délégués syndicaux maghrébins. La jeune génération, dix ans après l’indépendance de l’Algérie, apparait sur scène. L’émission Mosaïque diffuse - de 1973 à 1987 sur FR3 -, des portraits de familles immigrées, donnant une place à des chanteurs comme Karim Kacel, Slimane Azem, Nadjet Atabou, Rachid Bahri, Djamel Allam ou encore le groupe Carte de Séjour.



Marche pour l’égalité et contre le racisme

Années 80. S’exprime le mouvement (mal) nommé « beur » qui, fait de convergences fraternelles (MIB) lors des fêtes de banlieues, dénonce la double peine (peine de prison suivie d’une expulsion vers le pays d’origine). La Marche pour l’égalité et contre le racisme, d’octobre à décembre 1983, partie de Marseille (2), arrive place de la Concorde pour le grand concert géant à Paris, célébrant une France de la diversité, avec des concerts de Trafic Jam, Salif Keita, Rock against Police.
D’autres arts : BD, théâtre, arts plastiques, littérature, cinéma et les radios libres, popularisés dans les cités propulsent la culture métisse et la World Music. Les cités et les murs des banlieues se couvrent d’affiches illustrant de nombreux événements artistiques, invoquant les questions interculturelles. Les femmes de la troupe de la Cité André Doucet de Nanterre (Hauts-de-Seine) présentent des spectacles, les jeunes dansent le break sur les places et dans les parcs, lors de Battle de danse, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) par exemple.
Le groupe Carte de Séjour – nom politique et ironique - mêle rock punk et musique orientale, et reprend la chanson de Charles Trenet Douce France, qui revendique la place des enfants issus de l’immigration en France (1).
En 1984, nait le Hip Hop (accompagné de graph’ de la danse) et le Rap, avec des pionniers comme 93 NTM, IAM, Tonton David, Tonton du Bled.


Violences urbaines

Années 90. Les quartiers populaires ghettoïsés sont redessinés, après des violences urbaines en banlieue et le mouvement « Black, Blanc, Beur » devient un nouveau crédo, après la victoire de l’Équipe de France de Football derrière Zinedine Zidane. La mondialisation de la musique accélère les dynamiques interculturelles des quartiers, derrière des idoles comme Cheb Khaled, Faudel, La Mano Negra, Zebda, LKJ, Fadela et Sahraoui, Cheikha Remitti, MC Solaar, Jamel Debbouzze, Sami Naceri (et la série des films Taxi).


« Karaokés du bled »

À la fin de l’exposition, les visiteurs sont invités à chanter des « Karaokés du bled », et un espace interactif les encourage à danser sur des airs franco-maghrébins dans une Chtah Box. Rachid Taha est présenté comme une icône de l’humanisme ayant pris racine, à côté d’intellectuels comme Léopold Sedar Senghor, Amadou Hampaté Bâ, Édouard Glissant, Germaine Tillon, Kateb Yacine, Assia Djebar, Alain Mabankou, Maryse Condé.
Même si les politiques migratoires peuvent souvent nous faire déchanter aujourd’hui, grâce à cette belle expo, un retour aux sources et à ces décades (où les rencontres ont toujours été possibles entre les cultures et les voix/voies) vous fera reprendre l’espoir et vous donnera l’envie de jours meilleurs.


Agnès Montagne


Une exposition réalisée en partenariat avec

■ Villes des musiques du Monde,

■ l’Institut du Monde arabe (IMA),

■ le Musée national de l’histoire de l’immigration,

■ l’Institut national de l’audiovisuel (Ina).

À voir jusqu’au 8 mai 2022.



(1) Carte De Séjour "Douce France" | Archive INA - YouTube
(2) L’arrivée de la "Marche pour l’égalité et contre le racisme" à Paris - Sudorama, mémoires du Sud de 1940 à nos jours (ina.fr)
À lire :

La longue marche des enfants d’immigrés, interview de Djamel Attalah, Lien Social n°1033, 2011.

Article offert par Lien Social