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■ ACTU - Hébergement • Le genre à l’épreuve de la rue

« Les dispositifs d’hébergement sont pensés pour les hommes ou pour les familles », l’association Agir pour la santé des femmes (ADSF) a mené une étude auprès de 1001 femmes en grande exclusion rencontrées entre 2019 et 2020. Une écrasante majorité, 80%, déclare avoir subi des violences, une sur deux des violences sexuelles, un tiers des violences intrafamiliales. Un constat glaçant posé par Nadège Passereau, déléguée générale d’ADSF, lors d’une table ronde sur la question de genre organisée dans le cadre de la semaine « de la rue au logement, construire le SIAO de demain », proposée par la fédération des acteurs de la solidarité du 15 au 19 mars. Or, les hébergements généralistes restent bien souvent peu conscient de cette problématique.

Garder le silence

Le projet « Un abri pour toutes » pose la question de l’exposition aux violences sexistes et sexuelles des femmes en situation de précarité. Lancé en 2019, il a débuté par une phase d’audit auprès de trois centres d’hébergement mixtes en Ile-de-France. Le centre d’hébergement d’urgence la promesse de l’Aube, géré par l’association Aurore à Paris, en fait partie. Juliette Kostaniak y travaille comme éducatrice spécialisée ; elle revient sur les révélations de cet audit pour sa structure. Premier choc : il révèle que 93% des femmes hébergées disent avoir été ou sont victimes de violence au moment de l’enquête. Et 86% de ces femmes n’avaient jamais évoqué ces violences avant cette enquête. « Elles relèvent que ces thèmes ne sont pas du tout abordé pendant leur accompagnement social par les travailleurs sociaux. De leur côté, les travailleurs sociaux disent qu’ils ne se sentent pas d’aborder ce sujet avec les personnes accompagnées, notamment par peur de ne pas savoir quoi faire derrière, ne pas avoir les outils, les orientations adaptées… », témoigne Juliette Kostaniak.
Autre constat : dans ce centre d’hébergement généraliste où l’accueil est inconditionnel et la proportion d’homme importante, les femmes deviennent invisibles. « Elles occupaient peu les espaces communs, les lieux de circulation, les activités proposées, nous nous sommes rendus compte que dans des hébergement comme le notre qui propose des chambres individuelles, la chambre constitue un lieu de repli qui permet de ne pas être exposé aux autres, de se mettre en sécurité, de se reposer, de bénéficier d’une intimité ».

Parcours de violence

Nadège Passereau regrette que le 115 ne puisse pas, au moment de l’écoute, tenir compte de ces vulnérabilités particulières, des parcours de violence de ces femmes dirigées vers des centres généralistes. « Nous constatons que l’ensemble des mécanismes vécus dans la rue se reproduisent en l’état dans ces structures. Certaines femmes n’appellent plus parce qu’elles ne veulent pas être mise dans ces situations et elles préfèrent être seules dehors, se protéger par elles-mêmes ». Or, même si suite au Grenelle contre les violences conjugales, une charte devait relier le 3919 au 115 et proposer une meilleure coordination des deux acteurs pour répondre aux femmes victimes de violence, sur le terrain l’orientation vers des dispositifs généralistes reste de mise. Le 6 septembre dernier, selon les chiffres de la fédération des acteurs de la solidarité, parmi les 3385 femmes hébergées ce jour là qui se déclaraient victimes de violences, 25% étaient hébergées dans un dispositif spécialisé, 30% dans un accueil non spécialisé et 39% dans des hôtels sociaux.

Ouvrir le sujet

Le Grenelle annonçait également la création de 1000 nouvelles places dédiées à ces femmes. Françoise Brié de la fédération nationale solidarité femmes salue cette avancée mais s’inquiète du peu de création de ces nouvelles places dans des centres spécialisées et s’interroge sur leur financement. « Accompagner une femme victime de violence, travailler la question de la sécurité, accompagner les femmes sur le plan juridique, social, psychologique, prendre en compte les enfants… tout cela demande des moyens et le coût à la place qui a été indiqué nous semble largement insuffisant ». Elle espère que la création de 1000 nouvelles places, annoncées en septembre dernier, s’appuiera sur un financement revu à la hausse pour répondre à ces besoins spécifiques.

Au centre la promesse de l’Aube, l’audit a provoqué une remise en question : les travailleurs sociaux ont bénéficié de formations, rencontré des partenaires potentiels et interlocuteurs possibles pour se sentir capable de répondre à cette problématique. Désormais, la question des violences s’aborde pendant l’accompagnement. « Nous ne nous leurrons pas, ce n’est pas parce la question est posée que la personne va forcément parler. L’idée est de montrer que le sujet reste ouvert et qu’il existe une possibilité d’en parler, de l’accompagner », explique Juliette Kostaniak.

Marianne Langlet