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■ ACTU - Inceste - L’urgence d’agir
Depuis le 23 janvier, deux acteurs de la Protection de l’enfance coprésident la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Objectif ? Guider les travaux pour le recueil de la parole des victimes et émettre des recommandations aux pouvoirs publics en matière de protection.
« Si depuis des semaines, la parole des adultes victimes d’inceste se libère et qu’ils témoignent pour éviter à des enfants de subir le même crime, les mineurs eux, ne se sont pas davantage exprimés et les appels au 119 n’ont pas augmenté. Nous allons réfléchir à une politique de soutien qui leur permette de parler à un adulte quel qu’il soit et favoriser le repérage des abus sexuels intrafamiliaux », souligne Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru qui accueille des jeunes filles victimes de violences intrafamiliales à Agen (Lot et Garonne). Emmanuel Macron l’a nommée à la tête de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants avec Édouard Durand, vice-président chargé des fonctions de juge des enfants au Tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Levée d’un tabou
Le livre de Camille Kouchner La familia grande (Éd. du Seuil), véritable tsunami, a mis en lumière la réalité de l’inceste et donné naissance à des milliers de témoignages de victimes sur le réseau social Twitter via les mots-dièse #MeTooInceste et #MeTooGay. Ils dénoncent les failles du système judiciaire, comme le font depuis bien longtemps des associations comme Mémoire Traumatique et Victimologie, fondée par la psychiatre Muriel Salmona. Les chiffres liés à l’inceste font froid dans le dos. Selon l’enquête Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et les hommes (Virage), publiée en 2017 par l’Institut national d’études démographiques (Ined), une femme sur cinq et un homme sur huit ont subi des violences physiques, psychologiques ou sexuelles dans l’enfance. L’enquête de l’IPSOS réalisée en 2020 à la demande de l’association Face à l’inceste, souligne que 6,5 millions de personnes ont subi l’inceste. « Des chiffres qui méritent des analyses plus poussées en croisant ceux recueillis par les différents ministères prenant en compte les informations préoccupantes des hôpitaux et de l’Éducation nationale notamment », poursuit Nathalie Mathieu. En 2018, 70 % des 7 260 plaintes déposées ont été classées sans suite. « Pour quelles raisons ? Notre commission examinera tout cela pour mieux comprendre le fonctionnement de la Justice ».
Action concertée
La Commission, abritée dans les locaux du ministère des Solidarités et de la santé, composée de six permanents, comptera une équipe pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle de vingt personnes : acteurs de la Protection de l’enfance, chercheurs (historiens, sociologues, anthropologues), praticiens (psychologues, psychiatres). Ils travailleront en groupes thématiques constitués de personnes- ressource (travailleurs sociaux, victimes, etc.) « Notre objectif n’est pas de produire un rapport dans deux ans, assure Nathalie Mathieu. Nous voulons apporter des éléments de réponse sur le terrain, mettre en place des actions concrètes. Nous bénéficions de moyens importants - 4 millions d’euros - et nous veillerons à garder une totale indépendance dans nos travaux. » Quid de la loi de 2018 qui prévoit une prescription de trente ans à la majorité de la victime d’inceste ? « Elle fera bien entendu partie des réflexions. Auparavant, nous devons étudier son fonctionnement pour éventuellement proposer de la transformer ou de l’abroger. Nous ne nous interdirons rien. »
La Commission organisera un dispositif d’accompagnement de la prise de parole des victimes, permettant une orientation et un appui en lien avec les associations et structures concernées. Elle explorera plus en détail des sujets encore largement tabous comme la protection des enfants en situation de handicap. Elle mènera des travaux approfondis pour rendre le changement de société possible. Au programme notamment, la formation des professionnels travaillant auprès d’enfants ; l’appui et l’accompagnement de la prise de parole des victimes et des proches pour faciliter leur orientation vers des dispositifs d’aide.
Le 25 janvier, le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti et le secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, ont engagé une consultation pour approfondir les pistes qui permettront de renforcer la loi. Objectif ? Mieux punir les auteurs et rendre indéfendable l’idée qu’un enfant puisse consentir à une relation sexuelle avec un adulte. Les victimes pourront bénéficier d’un accompagnement psychologique intégralement pris en charge ; deux visites de dépistage et de prévention seront développées au primaire et au collège.
Des acteurs incontournables
Les syndicats représentant les assistants de service social (ASS) en faveur des élèves – surtout présents dans le secondaire du fait de manque de moyens -, acteurs incontournables dans la prévention de ces violences, le repérage, la protection et l’accompagnement des victimes, estiment insuffisante une sensibilisation des professionnels de l’Éducation nationale sans des moyens d’accompagnement massivement amplifiés. Ils réclament notamment un important plan de recrutement d’ASS pour garantir leur présence dans chaque établissement ; la création d’un service social en faveur des élèves dans le primaire et une campagne de communication forte pour mettre en lumière leurs missions.
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À retrouver dans Lien Social n°1142
Le dossier Inceste : quel accompagnement pour les mineurs ?
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