L’Actualité de Lien Social RSS
■ ACTU LIVRE - Dis, tu reviendras ?
La pandémie de la covid-19 nous a traumatisées. Chez nos proches âgés, elle a été dévastatrice. La suppression des visites a généré des sentiments divers, d’abandon, de souffrance, de résignation, de tristesse. Une fracture.
Qu’est-ce que visiter ? C’est que Roger Gil explore de manière anthropologique et éthique au travers de nombreux témoignages recueillis durant la crise sanitaire. Dis, tu reviendras ? interroge le sens de la visite à nos ainés, voire à tous, et montre comment la visite remplit bien une fonction de « reliance coextensive à la condition humaine ».
Durant cette crise certaines mesures, pourtant préventives, ont eu des effets dramatiques chez les personnes les plus vulnérables de notre société, dont les personnes âgées. La visite n’est jamais un passe-temps occasionnel, mais bien un évènement de liens, de vie. Alors, comment rester proche si l’on ne peut plus s’approcher ? Comment comprendre la distance au service de la proximité, où le virtuel fait office de réalité ? Comment vivre, vieillir et mourir sereinement ?
La visite empêchée
La visite empêchée a été révélatrice d’un manque. En réponse au virus, l’isolement social pour le bien collectif. Et la constatation rapide par les équipes soignantes que les résidents d’ephad, privés de visites s’enfonçait dans une apathie dépressive, à en « perdre l’envie de vivre jusqu’à en mourir de chagrin ». Attention, prévient l’auteur, il ne s’agit pas de remettre en cause les mesures collectives.
L’idée est bien « d’anticiper les limites à partir desquelles certaines mesures touchent à des aspects fondamentaux de la condition humaine et de la vie en société ». Visiter n’est donc pas anodin, mais porte un projet de rencontre, une intentionnalité d’aller-vers, un sens profond analyse le professeur émérite de neurologie et directeur du site de Poitiers de l’Espace de réflexion éthique de Nouvelle-Aquitaine.
Roger Gil a coordonné pendant la pandémie, en Nouvelle-Aquitaine, en lien avec France Alzheimer, une cellule d’écoute et de dialogue éthique attentive aux détresses des familles et des équipes des établissements pour personnes âgées.©DR
La visite est inscrite et commune à toutes les religions qui convergent pour faire de la visite un devoir d’amour, qui permet l’attention à la vulnérabilité, provoque l’altérité, la piété filiale. Le devoir de visite répond ainsi à un besoin de visite.
La littérature est elle aussi foisonnante de cet objet qu’est la visite, en témoignant des relations de proximité, notamment dans les situations de vulnérabilité. Elle est riche des relations parents-enfants, grands-parents et petits enfants, dans un but de permanence et de vitalité des liens familiaux, lors des fêtes ou bien lorsque la maladie est là.
Il est d’ailleurs rappelé la notion de « devoir » visiter les parents lors de vieillesse ou de fin de vie, manifestant ainsi une présence, une fidélité, un adieu. En ce sens, la pandémie, par la raréfaction puis la suppression des visites aux personnes âgées n’a pu que pénaliser la construction identitaire des plus jeunes et de leur « enracinement intergénérationnel ». En cela, le temps réel de visite dans les ephad a dépouillé toute raison d’être et n’a entrainé que souffrance, angoisse et ressentiment.
Un besoin donc un devoir
L’expérience pandémique amène à reconsidérer les dimensions éthiques et anthropologiques des visites. Roger Gil nous pousse à prendre conscience des diverses dimensions humaines de la visite, car sa dimension symbolique contribue à « donner sens à la vie », quand la pandémie remplissait une fonction mortifère.
En outre, la santé mentale des populations s’est dégradée à bien des aspects. En effet, « si la pandémie a mis en lumière les conséquences d’atteinte au lien social, on sait aussi que cette construction du lien social et ses aléas multiples nécessitent qu’une attention majeure soit accordée à la santé mentale, dont les déterminants majeurs relèvent des interactions sociales qui fondent le vivre-ensemble ».
En définitive, l’expérience de la pandémie, au-delà de la visite aux proches âgés, illustre sans doute le besoin d’autres lendemains plus attentifs à l’Autre et, après la lecture de ce livre, les mots « dis, tu reviendras ? » prennent un tout autre sens.
Ludwig Maquet
Dis, tu reviendras ? Redécouvrir le sens de la visite aux proches âgés, Roger Gil, éditions érès, 2023, 250 p., 15 euros.
