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■ ACTU-Marche funéraire contre une justice à deux vitesses

Un collectif de familles endeuillées, suite à la mort violente de proches, organisait une mobilisation mercredi 15 juin à Marseille. Réunies dans la souffrance et la colère, elles réclament justice et en appellent au Président pour qu’il débloque les budgets nécessaires aux investigations et aux jugements.



Symboliquement, les manifestants portent des cercueils.

« Ça me révolte de voir ce gamin derrière un cercueil, alors que sa place est de courir derrière un ballon. » Éducateur spécialisé à la tête d’un lieu de vie qui accueille sept jeunes, Patrice Philip a fait le déplacement depuis une ville voisine de Marseille pour soutenir le collectif de familles endeuillées à l’origine de la marche funéraire de ce mercredi 15 juin. L’événement a réuni cent à deux cents personnes. Certaines portent symboliquement des cercueils pour incarner les quelques 300 jeunes assassinés ces dix dernières années.

Elles sont venues leur rendre hommage, mais surtout réclamer justice. « Nous ne sommes pas là pour dénoncer les réseaux, c’est le rôle de la police, et nous en avons assez de l’amalgame, explique Karima Meziene, avocate dont le frère a été tué en 2016. Nous revendiquons notre droit à la justice, la priorisation de nos dossiers, l’arrêt des classements sans suite, l’orientation affaires non élucidées vers des cellules dédiées au cold case. L’État doit donner à la police les moyens de mener les investigations et aux juges d’apporter une réponse pénale aux familles. »



Karima Meziene, avocate et victime, interpelle le ministre de la Justice pour qu’il débloque les fonds nécessaires à une justice pour tous.
Depuis quelques mois à Marseille, elles s’organisent en collectif autour de l’association Alehan portée par Halima Boucetta, une conseillère d’insertion professionnelle. Cette démarche vise à sortir de l’isolement et tenter de peser sur les politiques publiques. Si à Marseille, douze règlements de compte ont ensanglanté l’été 2021, avec notamment un garçon de 14 ans tué par une rafale d’arme automatique, la cortège funéraire a été rejoint par des victimes d’autres villes, notamment Perpignan.

Drames banalisés

Les morts violentes ne sont pas toutes liées au trafic, mais tous les participants partagent le sentiment d’être des laissées pour compte du système judiciaire et de subir une double peine. Certaines vivent encore dans le même quartier, la même citée, que les présumés assassins de leur proche… sans solution de relogement. « Cette impunité, cet abandon des pouvoirs publics provoquent un engrenage, regrette Patrice Philip. Quand on sort les jeunes de la précarité, ils retrouvent un goût pour la vie et font des projets comme tout le monde. En tant que père, grand-père, éduc, je ne peux pas supporter qu’un jeune puisse mourir brûlé dans une voiture ou tué par balle devant son immeuble et que ces drames soient banalisés. Pour moi ces gamins, même s’ils portent une arme, restent des victimes. »



"La place d’un enfant ne devrait pas être derrière un cercueil", Patrice Philip, éducateur spécialisé

Partie de La Joliette au nord du centre ville marseillais, le cortège opère une minute de silence sur le Vieux-Port et se termine devant le Palais de justice. Là, sont égrenés les noms des victimes, leur âge (souvent très jeune) et la date de leur assassinat. Pour chacune d’entre elle, un cercueil est déposé devant les marches du Palais. Quand la litanie s’achève, les cercueils jonchent le parvis du tribunal. « Tout ça ne sert à rien, s’énerve la mère d’une jeune maman tuée à 20 ans. Si c’était des enfants de juges, ça serait un branle bas de combat et les coupables seraient jetés en prison, mais là c’est des enfants de pauvres, alors ils s’en fichent et restent confortablement installés dans leurs bureaux climatisés. Ils se disent ’’c’est des délinquants alors bon débarras’’. »



Les victimes n’ont pas toutes succombé à des règlements de compte, la délinquance routière fait également de nombreuse victimes.
Secrétaire départemental SNPES-PJJ-FSU et assistant social dans les quartiers nord, Mattias Perrin partage avec d’autres mots cette révolte face à des politiques discriminantes. « Dans les quartiers populaires, les associations ont de plus en plus de mal à exister et les institutions se retirent, constate l’AS engagé qui assure les accompagnements en milieu ouvert ordonnés par le juge. Avant des travailleurs sociaux du département faisaient des visites à domicile, mais comme c’est de plus en plus compliqué d’intervenir dans ces cités, ils se retirent. Les choix des politiques amènent à une désertion des services publics. Du coup quand ces jeunes se voient proposer un peu d’argent, même si c’est mal payé et que c’est au péril de leur vie, des gamins un peu fragiles y voient une prise en considération. Là où la société semble ne pas les prendre en considération, le réseau leur offre une place. Petit à petit, on entre dans la loi du plus fort et des formes d’endettement qui conduisent à du travail forcé. Les jeunes vivent des violences très importantes de la part de l’organisation et c’est très compliqué d’en sortir. »

Émotion, larmes et colère s’expriment devant le Palais de justice après deux heures de marche dans la ville.

D’autant plus que les services sociaux éducatifs encore sur le terrain peinent à trouver des solutions pour faciliter la mise à l’écart et la protection. « On est impacté et impuissant par rapport à ces situations de violence dans les réseaux. Quand un gamin tombe, on est présent auprès de la famille, c’est extrêmement douloureux. La mort déstabilise beaucoup les équipes dont le travail consiste à les autonomiser, faire émerger du projet, la vie quoi. En plus, quand on connaît les situations, on subit la pression politique et médiatique, on nous demande "mais vous avez fait quoi pour éviter ça ?". Alors on culpabilise, on se pose plein de questions sur ce qu’on aurait pu faire. On est très isolé. » Le frère d’Omar a été assassiné alors qu’il venait de purger sa peine de prison suite à un homicide. Six ans plus tard, le dossier reste en souffrance. Depuis une dizaine d’année, il observe un abandon des quartiers populaires. Du coup, livrés à eux mêmes, les jeunes s’ennuient, une simple bagarre peut dégénérer et enclencher un cercle vicieux où tout le monde est victime. Pour lui, une justice atone entretient la vendetta. « Le sursaut et l’espoir viennent des citoyens, on a décidé de s’unir pour sortir de l’engrenage. » Les familles mettent fin à la mobilisation en précisant que la prochaine fois, elles marcheront avec leurs morts à Paris, au plus prés des ministères de l’Intérieur et de la Justice.

Texte et photos Myriam Léon

A lire dans Lien Social N° 1238 : "Politique de la ville • Priorité au quartier"