L’Actualité de Lien Social RSS
■ ACTU - Rétention administrative : une politique du chiffre
Ce 26 avril, les cinq associations intervenant dans les centres de rétention administrative en France présentaient les conclusions de leur rapport sur l’année 2022. Elles dénoncent un traitement abusif, injuste et parfois illégal dont sont victimes les personnes enfermées, plus particulièrement à Mayotte.
« Force est de constater que ces dernières années, les gouvernements successifs ont appliqué l’éloignement sous le prisme de la politique du chiffre », pose Adrien Chhim, directeur du service rétention de France Terre d’Asile. En 2022, les associations ont estimé à 43 000 le nombre de personnes enfermées dans les centres en France, dont plus de 26 000 à Mayotte.
Depuis le 22 avril, une opération policière de grande ampleur prévoit l’expulsion massive des personnes en situation irrégulière à Mayotte et la destruction de plusieurs bidonvilles.©Jérémie Rochas
En règle générale, le rapport met en lumière l’augmentation inquiétante du nombre de personnes vulnérables placées en rétention, en situation de handicap, atteintes de maladies graves, souffrant de troubles psychiatriques ou, encore, placées sous tutelle. « Nous observons aussi une progression du nombre de mineurs enfermés avec leurs familles et de mineurs jugés majeurs par l’administration », ajoute le responsable associatif.
L’exception mahoraise
Le rapport souligne dans ce domaine l’exception du 101 département français, Mayotte. Alors qu’en métropole, 94 enfants ont été enfermés en rétention en 2022, ils ont été 2 905 à Mayotte. En décembre dernier, Gérald Darmanin s’engageait à ajouter « l’interdiction de mettre des mineurs dans les centres de rétention » dans son projet de loi Asile-immigration. Les associations craignent déjà que le ministre de l’intérieur n’intègre pas Mayotte à cette mesure, comme il l’a déjà laissé entendre.
Le nombre de personnes retenues pendant la durée maximale de 90 jours a été presque multiplié par 7 entre 2019 et 2022. La France est d’ailleurs l’État de l’Union européenne qui délivre le plus de mesures d’éloignement vers des pays tiers. Pourtant, moins de la moitié des personnes placées en centre de rétention sont effectivement éloignées. « Ce recours abusif à l’enfermement a un vrai impact psychologique pour les personnes enfermées dans des lieux qui ne sont pas adaptés à une rétention aussi longue », assure Adrien Chhim.
En Outre-mer, le taux d’expulsion est particulièrement élevé et atteint 74% en 2022. Selon les associations et à l’image de l’opération Wuambushu au cœur de l’actualité, ce traitement différencié s’explique par « des opérations de grande ampleur facilitées par le régime dérogatoire leur permettant d’effectuer des contrôles du droit au séjour dans de larges zones, voire sur l’ensemble du territoire comme à Mayotte ».
Recours non suspensifs
Avec la création sur l’île de cinq locaux utilisés en extension du centre de rétention, l’administration augmente encore sa capacité d’enfermement. Les personnes retenues n’ont souvent pas le temps de rencontrer les juristes de l’association Solidarité Mayotte pour établir de recours avant d’être expulsées.
De toute façon, l’exception mahoraise ne leur offre que peu de possibilité d’échappé à l’expulsion vers les Comores, comme le relève le rapport : « Alors qu’à La Réunion le recours devant le juge administratif est suspensif de l’éloignement et que le juge des libertés et de la détention intervient après deux jours d’enfermement, à Mayotte, le JLD n’intervient qu’après cinq jours en rétention et les recours administratifs contre les mesures d’éloignement ne sont pas suspensifs de l’expulsion. » La politique du chiffre a un coût pour l’égalité territoriale, Mayotte le paie.
Jérémie Rochas
Pour lire le rapport cliquer ici
À lire aussi dans Lien Social n°1282 : Rétention • Libérez les enfants et dans le n°871 : Les centres de rétention administrative•Rouage central de la machine à expulser