L’Actualité de Lien Social RSS
■ ACTU - SNCF : la solidarité à deux vitesses
Le 26 Janvier, un membre de la direction SNCF Nord Bretagne demandait aux agents en gare de signaler à la police nationale la présence de migrants sur la ligne. Une consigne raciste qui contraste avec la solidarité affichée de l’entreprise ferroviaire envers les réfugiés ukrainiens.
« À la demande de la police nationale de Morlaix : merci à vous d’indiquer si vous voyez des groupes de migrants monter dans nos trains », écrivait fin janvier un membre de la direction Nord Bretagne de la SNCF, dans un mail adressé aux cheminots de la ligne. Cette initiative polémique risque d’entacher l’image altruiste de la SNCF qui annonçait, le 28 février, la gratuité des transports pour les réfugiés ukrainiens. Deux poids deux mesures qui laissent croire en l’existence de consignes discriminatoires au sein même de la direction de l’entreprise. La CGT locale a réagi instantanément, dénonçant « une chasse aux migrants » et des « méthodes inhumaines de dénonciations calomnieuses indigestes ». Opposé à ces « actes de délation et de dénonciation », le syndicat des cheminots a demandé audience au directeur de la ligne TER, Sébastien Auriac, qui a affirmé ne pas cautionner les propos de son subordonné sans pour autant le sanctionner. « La direction minimise les choses, la personne en question n’a même pas reçu de rappel à la loi. Au niveau national, il n’y a eu aucune réaction », résume Christophe Le Beguec, trésorier de la CGT Cheminots Léon-Trégor.
En gare de Lille (Nord), les agents de sureté SNCF en patrouille. Photographie : © Jérémie Rochas
Cheminots en résistance
Ce n’est pas la première fois que la SNCF est accusée de racisme. Déjà en 2016, deux notes de la société ferroviaire demandaient aux cheminots de la région PACA de signaler les groupes de migrants à bord des trains, suscitant, là aussi, la colère et l’opposition des contrôleurs. Dans les deux cas, la police nationale cherche à impliquer les agents de gare dans le contrôle des frontières, italienne pour l’un, britannique pour l’autre. Ainsi, il n’est pas rare que des personnes exilées traversent la France depuis Paris jusqu’à Brest dans l’espoir de rejoindre les côtes anglaises.
« Elles vont jusqu’au bout de la ligne, certaines au hasard, sans savoir situer Brest, se croyant parfois en Grande-Bretagne, et y restent, au moins tant qu’elles ne sont pas sous la menace d’une Obligation de quitter le territoire (OQTF). Elles ne s’amusent pas à faire des allers-retours en train autour de Brest », explique Jean Le Velly, président de l’association brestoise Digemer, qui soutient les personnes exilées par l’hébergement et l’accès aux besoins primaires. Mis à part quelques contrôleurs zélés, les associations reconnaissent même une solidarité des cheminots à l’égard des personnes exilées. « Plusieurs témoignages que nous avons reçus de la part de jeunes isolés parlent plutôt de contrôleurs qui les ont pris en charge, leur indiquant l’adresse du commissariat pour se déclarer tout de suite à l’arrivée et leur donnant 20 euros pour manger », assure Jean Le Velly.
Contrôles au faciès
Au-delà des contrôles de personnes en situation irrégulière, la police nationale serait régulièrement présente en gare de Morlaix pour procéder à des fouilles dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue. Samuel (1), d’origine ivoirienne, vivait dans cette ville jusqu’en 2021 et dit avoir été victime de contrôles au faciès à plusieurs reprises. « Je me suis fait contrôler trois fois entre 2019 et 2020. Ils te prennent de côté, Ils te demandent de mettre les mains au mur, ils te palpent et te demandent les papiers. Ils savent qu’il y a beaucoup de sans-papiers qui travaillent dans le secteur agricole dans la région. On sort souvent en groupe car s’il y a un abus, quelqu’un peut se faufiler et donner les informations à l’extérieur », raconte t-il. Déjà en 2017, le Défenseur des Droits avait pointé dans une étude que les jeunes hommes noirs ou arabes courraient vingt fois plus de risques d’être contrôlés que les autres.
Jérémie Rochas
(1) Le prénom a été changé.