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► Plonger et rebondir : l’intégrale - ELLES, DIRECTION INSTITUTION….. ou moi ?
Lien Social a consacré son numéro 1320/1321 aux questionnements qui traversent une action sociale en pleine crise. À la marchandisation, la rigueur budgétaire et perte de sens … répondent l’épuisement, prise d’initiative, réactivité, créativité et dynamisme. « Plonger et rebondir » a reçu près d’une cinquantaine de contributions, mais n’a pu en publier qu’une vingtaine. L’occasion de présenter sur notre site certaines des contributions que le lecteur n’a pas retrouvées dans la revue.
LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?
Par Sophie assistante de service social
Vingt-quatre personnes sont parties en deux ans sous sa direction, se gargarise le directeur général de l’association lors d’un entretien de mercato avec une collègue qui sera déplacée dans une autre structure sans sommation !
Vingt-quatre personnes qui ont quitté le travail, bien souvent pour se sauver plutôt que par un vrai choix de carrière !
Je fais partie de ces Vingt-quatre personnes.
J’ai quitté le navire car celui-ci prenait l’eau de toute parte et que malgré, nos fusées de détresse lancées, personne n’a bougé !
Ni le CHSCT qui a été alerté de nombreuses reprises, ni la DRH de l’Association, ni le Département !
Le CHSCT, sa seule conclusion a été qu’il fallait que la Directrice parte ! Ok, mais en attendant que faisons-nous ? Comment vous nous soutenez ? Et comment faites-vous remonter cela ?
Direction des Ressources humaines, parlons-en de la ressource. De nombreux collègues, et moi aussi, sommes allés dans son bureau lui dire ce qui se passait dans l’établissement. Nous lui en avons lancé des alertes s’appuyant sur des faits objectifs et à part nous dire « je prends note », il ne s’est rien passé … Que sont devenus ces notes ? Qu’a-t-elle fait de cette souffrance qui dégoulinait dans l’établissement ?
Au Département, j’entends le manque de place pour accueillir les enfants. Mais, vous avez dû voir la souffrance des professionnels, vous avez dû remarquer les départs de collègues, vous avez dû remarquer les incohérences dans les accompagnements des enfants que nous devions protéger !
Culpabilité et Complicité, ce sont les mots qui me viennent à l’esprit. J’ai été, j’ai cru être complice de cette maltraitance institutionnelle en ne disant rien !
J’avais peur. Peur de ce que j’allais découvrir le matin, en allant au travail. Peur de subir encore cette violence, de ne pas être entendu dans les propositions d’accompagnement que nous pouvions faire. Peur des représailles. Peur de perdre mon travail que j’aimais profondément.
La culpabilité. De ne pas oser dire. De ne pas avoir oser taper plus haut et de dénoncer encore et encore : au Département ? Au conseil d’Administration voire à la Presse…
Du sentiment d’impuissance. De ne pas réussir à protéger les personnes accueillies et mes collègues. D’être partie pour me sauver. D’avoir quitté un travail que j’aimais.
Souffrance et épuisement professionnel. Souffrance de venir au travail la boule au ventre. Souffrance de pleurer chaque soir et chaque matin. Souffrance ne plus être disponible pour mon foyer ? car aux prises avec ce qui se passait au sein du Foyer. Souffrance de voir mes collègues en souffrance, mais par le climat de défiance/méfiance instauré, ne plus savoir à qui faire confiance, sur qui s’appuyer.
Souffrance rime avec impuissance. Impuissance de ne pas pouvoir L’arrêter. Impuissance face à nos alertes, que pouvions nous faire de plus alors que nous avions tir2les sonnettes d’alarme ? Impuissance de voir les incohérences dans les accompagnements. Impuissance de ne pas réussir à mener les accompagnements « à bien ». Impuissance face à des personnes qui venaient faire du « gardiennage » comme ils disent, alors qu’ils avaient devant eux des jeunes et des familles en souffrance qui avaient besoin d’étayage, de soutien et non pas de baby-sitting. Impuissance face à toute cette incompétence…
La solidarité s’est développée dans la souffrance, après avoir tenté de nous isoler, de nous « monter » les uns contre les autres, de trouver un bouc-émissaire. La solidarité s’est développée, par pour sauver l’Institution mais pour se sauver SOI. Avec certaines, après avoir partagé nos dates d’arrêts maladies et comment prendre soin de nous, nous partagions nos stratégies pour alerter mais surtout … nous nous partagions les offres d’emploi…
Et puis rebondir… Rebondir même si c’est partir. Rebondir c’est rester droit, rester aligné avec nos valeurs. Rebondir, c’est aussi refaire confiance à une nouvelle Institution, des nouveaux collègues. Rebondir, c’est croire encore plus fort à l’accompagnement des personnes vulnérables et se battre pour elles. Rebondir, c’est maintenir son engagement pour le travail social presque… intact.