► FORUM - Le trompe-l’oeil de la scolarisation inclusive
Par Jean-Yves Le Capitaine, formateur, ancien cadre en établissement social et médico-social
La rentrée scolaire 2019 a été présentée, par le Ministère de l’Éducation nationale et le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, comme radicalement nouvelle, voire révolutionnaire, dans la scolarisation des enfants en situation handicap, en particulier au regard de ce qui avait été fait auparavant pour l’école inclusive. Une communication tous azimuts installait cette idée que septembre 2019 allait tout changer. Depuis lors, le discours officiel affirme avec insistance que tout va bien, et que le grand service public de l’école inclusive est en route si ce n’est en place, moyennant quelques ajustements ponctuels sur des situations insatisfaisantes issues de la mauvaise compréhension des orientations gouvernementales par le terrain.
La réalité semble pourtant loin de ce discours lénifiant. À quelques mois d’une rentrée qui se voulait exemplaire, on reste quelque peu dubitatif. On relève un véritable hiatus dans ce que relatent la presse et surtout les réseaux sociaux. D’un côté, on a une communication gouvernementale qui se satisfait très massivement des bonnes conditions de rentrée des enfants en situation de handicap, en s’auto-félicitant des innovations mises en place : pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), nouvelles modalités de fonctionnement des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), développement des dispositifs, etc. De l’autre côté, des enfants sans place ni à l’école, ni dans aucun dispositif d’accompagnement ou scolarisés au compte-goutte, des parents en galère, des AESH complètement insatisfaits de leurs conditions de service, des enseignants qui ne savent plus comment faire, etc.
Vit-on les mêmes réalités, vit-on dans le même pays ? Dans mon département, la Loire-Atlantique, quelques centaines d’enfants handicapés, ayant eu une orientation de la Maison départementale de personnes handicapées (MDPH) vers des établissements ou des services spécialisés (institut médico-éducatif (IME) ou service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) restent à la porte et en attente d’accompagnement et de place. En attendant, ils sont à l’école quand ils le peuvent, sans aucun soutien ou restent à la maison à la garde de leurs parents. Un grand nombre d’enfants ne sont présents à l’école que deux heures par jour, avec ou sans présence d’un AESH, avec le parent qui attend dehors dans sa voiture pour le cas où il y aurait crise. Ils sont alors comptabilisés comme inclus ! Des enfants sortant d’unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) élémentaire, et devant entrer dans une ULIS collège, ne le peuvent pas faute de création d’ULIS collège.
Sur le plan national, la presse et les réseaux sociaux se font l’écho de ces nombreux dysfonctionnements et de bien d’autres, qui ne sont pas que ponctuels, mais véritablement structurels, tant par leur nombre que par leur nature témoignant d’un sous-investissement dans ce domaine.
Non, la situation des élèves en situation de handicap n’est pas réglée, et la transition vers l’école inclusive se passe mal et rencontre des obstacles majeurs. Les quelques situations où des enseignants manifestent des refus injustifiés d’accueil des enfants en situation de handicap ne peuvent pas servir d’alibi aux effets désastreux d’une politique qui restreint des moyens pour les services spécialisés sans pour autant transférer l’équivalent de ces moyens dans une véritable politique inclusive. L’école inclusive reste un principe politique et éthique juste, ayant l’ambition de faire participer et partager la vie scolaire, des apprentissages à la vie sociale, à tous pour produire du « commun », de reconnaitre à tous les enfants les mêmes droits tout en reconnaissant des différences et des singularités. Mais cette école devient injuste dès lors que l’absence ou l’insuffisance de moyens condamnent les élèves à ne pas pouvoir y avoir une place satisfaisante pour exercer leurs rôles d’enfant et d’élève.
Contact : jyleca@gmail.com
Blog : https://jeanyveslecapitaine.blogspot.com/
Retrouvez l’intégralité de ce témoignage sur le n°1262 du 26 novembre 2019