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► LE BILLET de La Plume Noire • Comme à la maison

Toute la marmaille est plutôt calme en ce dimanche soir au sein du Home d’enfants « Rebond ». Certains enfants se brossent les dents, d’autres, les adolescents surtout, prennent leur douche, d’autres préparent plus ou moins leur cartable, bref, la vie suit son cours dans cette maison qui prend alors des vrais faux airs de famille. François Durand, éducateur spécialisé de son état, est seul à assurer le service depuis huit heures ce matin. Il se prépare à « faire la nuit », comme on dit dans le métier. Après vingt-quatre heures sur son lieu de travail il pourra demain matin rentrer chez lui.
Il prend, comme à son habitude, un livre, et réunit les plus petits dans une chambre pour lire une histoire. Ils sont quatre et trois d’entre eux s’assoient par terre sur un tapis. Le petit Paul a pris sa peluche, les yeux de Caroline brillent d’impatience, Sofiane suce son pouce. Steven, lui, est dans son lit, car c’est sa chambre. François reprend l’histoire là où il l’a arrêtée, lors de la précédente séance de lecture. Sa voix se veut profonde et réconfortante. Il met le ton, souligne les intentions, rend les personnages vivants. Les enfants écoutent avec attention. A l’autre bout du couloir, Sonia égaye les lieux à grands renforts de musique. Une chanson plutôt douce, un rien mélancolique, qui accompagne à la perfection le temps de lecture. Dans la chambre, l’espace d’un instant, tout le monde oublie où il se trouve, le placement pour les enfants, le travail pour François.
Le livre refermé, les enfants rejoignent leur chambre respective. Rendez-vous est pris pour la prochaine fois. Il faudra choisir une autre histoire, car ce soir, François est arrivé à la fin. A moins qu’il ne la reprenne du début. La répétition, cela a parfois du bon. Cela installe quelque chose. Une fois les lumières éteintes, les veilleuses allumées pour Steven et Caroline, François fait un tour dans les couloirs. Sonia accroche sur la porte de sa chambre une affichette de sa conception « Vive l’Algérie », un pays idéalisé dont au bout du compte, elle ne sait pas grand-chose. François continue sa déambulation. Mélodie, en peignoir, sort de la salle-de-bains, une serviette nouée autour de la tête. A priori, ce soir, elle ne fuguera pas. Elle a sa tête de celle qui a besoin de dormir. François lui souhaite la bonne nuit. Elle lui rend la pareille ce qui a pour effet de rendre un rien nostalgique, l’éducateur qui pleure la petite fille qu’elle était à son arrivée sur le home, trois ans auparavant. Aujourd’hui, elle lui parle à peine. Mais bon, ce soir, pas de conflit ouvert entre eux. C’est toujours ça de pris. Cécile, une autre adolescente, est déjà enfermée dans sa chambre et dans le noir. Les retours de week-end passés chez sa mère sont toujours difficiles. A chaque fois, elle se reprend le placement dans la gueule. Seule Laurianne n’est pas encore prête à se coucher. Elle a ses habitudes. François se rend dans la chambre/bureau des éducateurs. Laurianne vient faire sa toilette du soir. Le lavabo est en face de la porte du bureau/chambre. François sait qu’elle a toujours besoin de parler un peu, d’échanger deux trois paroles sur tout et n’importe quoi. Le rituel dure un petit quart d’heure et Laurianne retourne dans sa chambre.
La situation est calme et souligne d’autant plus chez François le sentiment de ne pas être au travail. C’est appréciable. Il relate ses impressions dans le cahier de liaison, tend l’oreille, tout le monde dort. Il se glisse dans le lit et se plonge avec délice dans sa lecture du moment, « American Psycho » de ce bon vieux Bret. Comme à la maison.