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► LE BILLET de La Plume Noire • L’enfant bolide
Ce matin, François Durand, éducateur spécialisé de son état, se demande ce qu’il va mettre dans la machine : de l’huile ou un grain de sable ? Depuis la veille, il imagine la scène, celle qu’il ne connaît que trop et dont il peut prédire l’issue : demande de Services d’Education et de Soins Spécialisés A Domicile (SESSAD) et nécessité d’un suivi psychologique et pourquoi pas également orthophonique. François Durand va participer à une Equipe de Suivi de Scolarité, ESS pour les intimes. Il anticipe les arguments qui vont être avancés, toujours les mêmes : « cet enfant ne respecte pas le cadre, refuse l’autorité, est dans la toute-puissance, perturbe le cours et ses camarades », sans oublier l’emballage « cet enfant est en grande souffrance ». Tout en se demandant à quoi ressemblerait une société où tout le monde respecterait le cadre, il se perd un peu dans les couloirs de l’école et rencontre la psychologue scolaire. Elle ne lui sert pas la main. De son côté, l’éducateur sait qu’elle a depuis longtemps oublié Freud et Lacan.
Madame Lemarquis, mère de l’enfant, arrive. Madame Lemarquis a cinq frères et sœurs. Tous sont nés de la même mère et de six pères différents dont certains confondaient parfois les enfants avec la mère. De fait, Madame Lemarquis ne sait pas toujours très bien où se situe la loi. Elle n’a pas très bien compris « l’inter-dit » et il est vrai, qu’à la maison, sa fille Marylou fait un peu ce qu’elle veut.
Marylou est un bébé parloir. Son père est en prison pour meurtre. Pour une sombre histoire de chéquiers volés, Madame Lemarquis s’est retrouvée, le temps d’une garde à vue, dans « les geôles ». François Durand ne le savait pas, mais elle lui a expliqué qu’il était possible de faire connaissance dans ce genre de lieux. Une conversation s’engage. S’ensuit une correspondance, des visites au parloir, la naissance de Marylou.
Marylou Lemarquis est une enfant sans limites, une enfant qui cherche le symbole, une enfant bolide. Elle bouge tout le temps, fait péter les codes sociaux et dans une salle de classe c’est légèrement chaotique.
D’ailleurs, au cours de la réunion, en présence de la mère, de la directrice, de la psychologue et de l’éducateur, la professeure des écoles alarme tout le monde avec les arguments déjà cités en amont. Pas vraiment une surprise, pense François Durand. L’enseignante insiste cependant sur un point. Elle ne cesse de marteler à la mère « Madame, si vous voulez que votre fille s’assagisse, VOUS DEVEZ FAIRE PREUVE D’AUTORITE ! C’est très important. »
Madame Lemarquis se justifie comme elle peut. François Durand tente, sans trop en dire, d’expliciter la complexité de la situation familiale, tout en espérant un décalage dans le regard que peut porter l’équipe pédagogique sur la mère et l’enfant.
L’enseignante, exaspérée de voir que l’éducateur ne la suit pas dans son raisonnement, l’interpelle non sans une certaine ironie :
Monsieur, vous qui êtes un professionnel de l’éducation, peut-être avez-vous une idée afin que la petite se calme en classe ?
François Durand sent le grain de sable advenir. Il ne pourra pas l’empêcher. Il le sait.
Oui, j’ai bien une idée.
Et laquelle ? demande l’enseignante, narquoise.
VOUS DEVEZ FAIRE PREUVE D’AUTORITE !