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► LE BILLET de La Plume Noire • Vertige
Paul vient de sauter par la fenêtre. François Durand, éducateur spécialisé de son état, ne peut que constater l’horreur de la situation. Il est dans le couloir poussant autant qu’il le peut la porte de la chambre qui, refusant de s’ouvrir, demeure entrebâillée. Glacé d’effroi, l’éducateur file dans le couloir descend l’escalier à toute allure et se dirige vers la porte d’entrée. Il n’a pas le temps de contourner la grande bâtisse qu’il voit l’enfant de six ans s’avancer vers lui en pleurant. Il a le nez et les lèvres en sang. Paul n’est pas mort, ni mortellement blessé, ni brisé, ni cassé et les blessures apparaissent comme superficielles. François Durand est soulagé. Pas complètement, mais soulagé quand même. Premier réflexe, il doit appeler la mère. Comment lui expliquer ce qui vient de se passer ? Comment lui expliquer que son fils vient de sauter par la fenêtre ? Comment lui expliquer, elle qui souhaite récupérer son enfant placé, que ce dernier a frôlé la catastrophe ?
François Durand assure son service depuis plus de 25 heures. Il est exténué. La fatigue de l’éducateur peut-elle expliquer le saut de l’enfant ? François Durand le voudrait bien, mais cela l’exempterait d’une réelle remise en question. Il doit affronter ce qui vient d’arriver. Il tremble. Tout s’est passé tellement vite, comme dans un cauchemar.
L’atmosphère était calme en ce mercredi matin sur le home d’enfants. Plus que deux heures et François Durand pourrait rentrer chez lui. Martine, la maîtresse de maison, préparait des crêpes et, de son côté, Paul tournait quelque peu en rond. Les autres enfants, des collégiens, ne rentreraient qu’aux alentours de midi. En attendant, l’éducateur proposa à Paul de lui enseigner le jeu de dames. Le petit, ravi par la proposition de l’adulte, s’installa mais très vite montra des signes de lassitude. Finalement cela n’était pas si intéressant que ça et, de plus, l’éducateur semblait ne chercher qu’à tuer le temps. Il s’était senti obligé de proposer quelque chose au gamin, et Paul, avec son sixième sens de minot, l’avait très bien perçu. Pour le signifier il manifesta de manière appuyée son impatience toujours grandissante : bouger intentionnellement les pions maladroitement, se tortiller sur sa chaise, souffler, pester. François Durand, énervé, lui saisit alors le bras en vociférant « Tu t’arrêtes maintenant ! ». Paul se leva et balança un grand coup de pied dans le jeu. Les pions s’éparpillèrent aux quatre coins du salon. L’éducateur, en colère, exigea de l’enfant qu’il range. De la peur, devant cet adulte fou de rage, le marmot se carapata dans sa chambre. Une fois la porte fermée, il s’enticha de la renforcer en y plaquant l’armoire. Le meuble, déjà bien brinquebalant, s’effondra littéralement sous ses assauts et les planches de bois vinrent bloquer la porte dans un grand fracas. Pris au piège, l’enfant, dans un appel à l’aide, cria de toutes ses forces « François, François… » L’autre, le sang en ébullition, engloutit les marches de l’escalier quatre par quatre. Arrivé devant la chambre, il poussa la porte. Impossible de l’ouvrir. En forçant, il put passer légèrement la tête. Paul, affolé, bougeait dans tous les sens, criait toujours. L’éducateur cria plus fort encore :
« Tu as vu ? Tu es content maintenant ? Tu es coincé. Tu entends ? Coincé ! »
Paul se posta sur le rebord de la fenêtre.
« Je vais sauter. »
Il regardait l’éducateur. Attendait un signe d’apaisement, un geste, une parole rassurante. L’autre demeurait sourd et aveugle.
« Je vais sauter. »
« Et bien vas-y. Qu’est-ce que tu attends ? Saute ! »
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