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► LE BILLET de Ludwig • Bouc émissaire
Elle a été le bouc émissaire de l’équipe. Celle qui dérange, celle que l’on montre du doigt. Celle, qui fait taire les discussions de bureau en entrant, laissant planer un air gêné qui sous-entend bien « attention, là-voilà ». Gène palpable et air irrespirable. Ce n’est pas parce que nous sommes professionnels du social, que nous échappons aux maux et difficultés du travail en équipe. Le bouc-émissaire, ce « patient-désigné », membre de l’équipe rendu responsable du dysfonctionnement du système, en fait partie.
Victime expiatoire qui paie pour les autres, le bouc émissaire est cette personne sur laquelle va s’acharner un groupe pour s’exonérer de sa propre faute ou masquer ses faiblesses.
Il y aurait un « désir mimétique », comme le nomme René Girard : celui d’imiter ce que l’Autre désire, de convoiter ce que possède autrui. Alors, cela pourrait rester limité, si ce phénomène ne provoquait pas des conflits en chaîne, un fonctionnement généralisé par la manipulation et l’instrumentalisation. Ainsi, le « modèle » devient un obstacle, un objet à abattre pour celui qui désire. C’est ici que le mécanisme de rivalité est lié à celui de la violence, ayant pour finalité l’élimination du rival par toutes stratégies pour mettre au « banc » des accusés ce rival. Afin de dissimuler sa brutalité, le sujet mimétique ruse avec son désir, son envie, n’hésitant pas à faire passer la victime pour l’imitateur. Retournement. Si cela en restait à un individu malveillant, il pourrait être soutenable de constater cette violence, mais René Girard souligne que ce qui la rend dangereuse, c’est sa contagion, le désir mimétique qui se propage au groupe. Et se transforme en antipathie généralisée, dans une escalade de destruction. Il y a menace d’éclatement de la société, du groupe, ici de l’équipe. Il faut conjurer le sort ! Expier cette violence par le sacrifice du bouc-émissaire, qui sert de pansement pour soigner le mal mais qui n’est pas tiré au hasard, loin de là. Sacrifice de la victime par la mise à distance du groupe afin d’être sacrifiée « sans que chacun se sente visé par cette brutalité », et en même temps assez proche pour qu’une catharsis s’effectue, se libérant sur la victime devenue « indifférente » à la communauté, car jugée marginale, différente. Il va sans dire qu’il est de l’intérêt du persécuteur que le groupe ignore que la victime est innocente, ce qui neutraliserait les effets du processus. Il semble aussi que la victime puisse présenter des grandes qualités. Donc, le « sacrifice » donne l’occasion de libérer l’agressivité collective, en tant qu’exutoire, et ressoude le groupe, autour d’une « paix retrouvée ». Si simple ? Non. Car l’écueil de ce mécanisme est sa temporalité, sa fin. Et quand bien même l’efficacité du bouc émissaire repose sur la méconnaissance ou ignorance de la part de ses usagers, tôt ou tard, la violence en jeu ressurgie : il faudra trouver un nouveau bouc émissaire pour la contenir. Qui sera le prochain ? Qui a peur de le devenir ?
Le travail en équipe est loin d’être simple, mérite un encadrement de qualité pour éviter la survenue de dysfonctionnements. Car, parfois face à la résistance de la victime, on passe au stade supérieur de la destruction : le harcèlement. Mais ce sera pour un prochain billet !!