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► LE BILLET de Ludwig • Chronique de la misère ordinaire

Ordinaire ? Oui, parce que ce jour-là, c’est mercredi. Et mercredi, comme tous les mercredis, c’est jour de courses, comme un réglage hebdomadaire, à l’ordinaire. Mais ce jour-là, un peu moins qu’à l’habitude, un peu moins quelques degrés aussi. Il fait froid, la neige est tombée sur les sommets et l’hiver s’installe brutalement. Ça pince !
Je les avais repérés de loin, là-bas, cachés le long de mon Lidl (et non bistrot) préféré. Les deux acolytes fréquentant l’accueil de jour. Nico et Ahmed. Deux punks à chien qui dérangent la bonne société et les quelques riverains bourgeois du parc Borelli. Oui, en bon travailleur social précaire, je fais le gros de mes courses en discount, parce que deux caddies valent le prix d’un ! Et puis parce que les produits ne sont pas tous de moindre qualité qu’ailleurs, fausse croyance. Bon, il y a bien des tomates marocaines en plein hiver, celles qui assèchent les sols. Les fruits tropicaux aux conditions de travail déloyales et inacceptables, et les salariés des discounts, maltraités. Élue première chaine de magasin ! Il ne faut pas regarder trop en détail, bref !
Les voilà donc qui entrent un soupçon (de 8.6) éméchés mais tranquilles, passent et repassent de rayon en rayon. Je le sentais bien que le vin allait tourner au vinaigre. J’ai bien senti son haleine quand il m’a salué d’un « salam alaykoum » à faire péter l’alcotest ! J’ai bien repéré le vigile appeler du renfort.
C’est que les esprits se sont forcément échauffés, c’était sûr. Et puis, il ne faut pas déranger mémé. Je passe sur les noms bucoliques (hic !), non surpris de voir débouler la cavalerie bleu marine organiser un pow-wow avec les apaches. Cow-boys de la prairie « robocop » pour garder tranquille cette société aseptisée. Cachez-moi cette misère que l’on ne saurait voir ! Votez des arrêtés anti-mendicité ! Mettez-moi au banc tous ces indésirables ! Rentrez dans le rang !
Moi, bien que les connaissant, je n’ai rien fait. À quel titre d’ailleurs ? Pour quelles raisons ? Ils sont libres. Je les verrai demain. Ils en rigoleront sans doute. Je leur dirai « bon, quand même, les gars, faites gaffe… »
Quelques frictions et un calumet de la paix plus tard, les deux marlous s’en sont allés, sacs sur le dos, bonnets enfoncés, cahin-caha, dans le lointain. Sans soleil couchant. Poor lonesome cowboy…
Il faisait froid. On se réchauffe comme on peut. On boit un p’tit coup et on fait les supermarchés pour quelques degrés de plus…
L’ordinaire, quoi !



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- Archives – Exclusion sociale / Thème : Pauvreté
- Archives - Exclusion sociale /Thème : SDF