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► LE BILLET de Vince • Les pattes et le cervelet

Aujourd’hui, nos institutions sont décrites comme des mastodontes, des monstres omnipotents, des ogres de l’appel à projets. Ces machines institutionnelles sont en effet aguerries à la loi du marché et ne fonctionnent plus qu’à partir de stratégies opportunistes. Elles recrutent d’ailleurs des technocrates de l’ingénierie dont les missions consistent à positionner la politique associative sur les bons filons du développement structurel. Main dans la main avec les pouvoirs publics, elles prônent l’optimisation des dépenses, la rationalisation des coûts, l’investissement planifié ou la loi d’une libre concurrence, dans une logique capitaliste assumée. Une fois ce décor posé, quid de la résistance des acteurs de terrain ? Quelle place existe-t-il encore pour la critique ? De quelles marges de manœuvre disposons-nous au cœur d’une mécanique bien huilée qui ne laisse pas de place à l’initiative créatrice ? On a tendance à se plaindre de ce système, en oubliant parfois que nous en faisons partie. Certes, le cerveau du mastodonte est puissant. Mais nous sommes les pattes du monstre ! C’est nous qui le faisons avancer ! Alors, pourquoi aller dans une direction qui ne nous convient pas ? La zone du cerveau qui contrôle l’équilibre et qui coordonne les mouvements volontaires est le cervelet. C’est donc le cervelet du mastodonte qu’il faut affecter, si nous visons un trouble de la coordination entre la commande neuronale et le mouvement des pattes. Comment provoquer des atteintes du cervelet ? Nous ne pouvons pas seulement compter sur la probabilité d’un accident vasculaire cérébral pour dérégler le cerveau du monstre.
Il est prouvé que la consommation excessive et prolongée d’alcool endommage le cervelet de façon permanente. Voilà donc un levier d’action possible : boire au boulot. Mais cette option demeure relativement risquée au sens où la patte folle peut rapidement faire l’objet d’un traitement curatif sous contrainte ou, dans le pire des cas, d’une amputation pure et simple.
D’autres possibilités seraient de provoquer une inflammation de la thyroïde ou une carence en vitamine E. Mais ces stratégies d’attaques immunitaires nécessitent une certaine proximité avec le cervelet qui expose le virus à un véritable inconfort biologique. Technique et scientifiquement compliqué.
Enfin, l’ablation du cervelet ne semble malheureusement pas recommandée puisqu’elle provoquerait de fait la mort des pattes et de tous les organes, y compris ceux qui sont utiles. Bon, il semblerait que le seul salut des pattes ne puisse finalement passer que par leur émancipation consciente. Pour cela il convient d’imaginer comme possible que les pattes du mastodonte construisent leur propre système cérébral. La « direction », c’est le nom du cervelet central certes, mais c’est aussi la voie que les pattes empruntent. Les pattes ont ce pouvoir de l’agir. Elles font. Elles vont. Elles donnent le sens. Elles portent tout le corps du mastodonte. Elles peuvent changer de chemin, n’en déplaise au cerveau.
Travailleurs sociaux, nous sommes les pattes du mastodonte. Emmenons-le là où nous voulons. Le cerveau du monstre ne pourra que suivre… dans une autre direction.