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✊ Travail social en colère • Le sale boulot
Par Marie-Claire, du Collectif 320000 Invisibles
L’amie à l’apéro : « je pourrais pas faire ce que tu fais »
La mamie au supermarché : « vous avez bien du courage »
Le copain attentionné : « t’en as pas marre de te faire mordre ? »
Et à travers eux, c’est la société toute entière qui vient nous dire son soulagement.
Soulagement que d’autres le fassent ce boulot, pour le confort de tous.
Alors ? Ça vaut combien de faire un boulot que personne ne veut faire ? Ça vaut combien d’avoir du courage ? Ou de se faire mordre ?
Il paraît que la question ne se pose pas, que c’est indécent, quand on est travailleurs sociaux, qu’on a comme on dit « la vocation », de demander à être payés décemment.
Sauf que.
Derrière la question des salaires, c’est la question de notre valeur qui doit être posée.
Valeureux nous le sommes, à n’en pas douter, tant il faut en avoir des valeurs pour accompagner les fous, les malades, les handicapés, les enfants cabossés, les migrants, les drogués, les parents en difficulté, les mecs en prison, les mal peignés, les pas productifs, les éjectés du système.
Alors ?
Ça vaut combien tout ça ?
On vaut combien nous ?
Nous sommes des « travailleurs essentiels », enfin il paraît. Ils l’ont dit mais n’ont rien fait.
Et on est là, avec nos salaires gelés depuis 20 ans, le pouvoir d’achat en berne et plus beaucoup d’illusions.
Parce que, en plus de tout le reste, l’austérité, la rationalisation et la voracité des possédants accomplissent leurs basses œuvres, comme elles l’ont fait en détruisant l’hôpital.
Sous des prétextes pleins de cynisme, on nous colle des « managers » qui viennent de chez Carrefour, de la brutalité plein leurs logiciels.
On nous inflige une litanie de dispositifs – usines à gaz pour ne surtout jamais ouvrir de places dans nos structures alors que les besoins sont criants.
On définit notre travail en calibrant dans des tableaux des solutions toutes faites, alors que l’essentiel de ce que nous faisons n’est pas quantifiable, constitué d’une multitude de détails, et s’ajuste tout le temps, et s’invente souvent.
Nous faisons de la dentelle.
Nos tutelles ont des bazookas.
Alors ?
Ça vaut combien de continuer à chercher du sens, vaille que vaille, quand toutes les politiques publiques visent à vider nos missions de toute substance ?
Cette obstination à écouter, à observer, à prendre du temps pour faire des gestes qui ne rentrent même pas dans les grilles.
Ça vaut combien ce souci de la moindre des choses dans un monde où seule compte la performance ?
A force de s’entendre dire qu’on ne choisit pas ces métiers là pour le salaire, c’est la valeur et le sens de ce que nous faisons qui s’en trouvent abîmés.
Alors oui, tout ça vaut bien quelque chose :
une augmentation pérenne des salaires dans nos secteurs
la protection de nos conquis conventionnels
et un arrêt des politiques délétères dans la protection de l’enfance, le champ du handicap ou de l’insertion.
Photo : © Collectif 320000 Invisibles