L’Actualité de Lien Social RSS
✊ Travail social en colère • Une réorganisation au détriment des personnes
Par une équipe SSD d’une UTPAS du Nord
Le département du Nord vient d’annoncer une réorganisation des services sociaux. Cette réorganisation est bien sûr présentée dans le cadre d’une amélioration de la prise en compte des demandes des usagers du service public. Et, bien sûr aussi, pour promouvoir un changement dans les pratiques d’accompagnement mises en place par les travailleurs sociaux de l’institution.
D’emblée, la rhétorique retenue pour communiquer fait appel aux deux postulats en vogue auprès des « décideurs modernes », il s’agit de « l’amélioration du service rendu » et du « changement ».
Concernant « l’amélioration du service rendu », on imagine aisément les inférences ringardes et habituelles qui tendent à démontrer que les travailleurs sociaux, qui sont en plus fonctionnaires, sont incapables d’évaluer leur travail et de rentabiliser l’investissement qu’ils représentent pour une collectivité territoriale telle que le département du Nord. Par ailleurs, les résultats attendus par l’institution qui privilégie le retour au travail des personnes en situation de précarité, des bénéficiaires des minimas sociaux et en particulier du RSA ne coïncident pas vraiment avec un travail social de qualité. Le but ultime de celui-ci consistant à redonner aux personnes accompagnées une dignité souvent bafouée et une reconnaissance des autres composantes de la société.
Cela ne peut passer par une politique axée uniquement sur un hypothétique retour à l’emploi et sur l’essentialisation des personnes sur le seul critère de leur statut d’« assisté sans emploi ». D’autant que les structures mises en place pour ce fameux retour à l’emploi sont basées sur le recrutement de personnels d’accompagnement précaires (CDD, Mission…) affublés de titre de « coach » et de cadres issus du « management commercial » toujours prompts à vanter les mérites du secteur privé où « on sait travailler » sans s’encombrer d’humanisme, d’éthique et de déontologie. Enfin, il convient de rappeler que le retour à l’emploi des plus précaires consiste souvent à proposer des « Jobs » très mal payés, avec des horaires bien décalés et des contrats très courts dans les fameux secteurs « en tension », hauts lieux des exploitations en tout genre ! … Bienvenue en « Uberistan ».
La prévention, l’écoute, la mise en place d’objectifs de travail, la prise en compte de la personne dans sa globalité sont autant de concepts étrangers à ces nouveaux « décideurs de l’entreprenariat social » comme ils aiment se nommer.
La réorganisation proposée (imposée !) va mettre fin à cette conception du travail social et faire d’un service social « rentable » en termes de dignité rendue aux personnes, une sorte de boutique façon « start-up » susceptible de satisfaire les mateurs de tableaux Excel et les adorateurs de logiciel Kafkaïen.
Concernant le « changement », un sommet de la novlangue chère aux décideurs décrits plus haut, il consiste en un argumentaire infantilisant qui peut se résumer par : « Vous (les travailleurs sociaux) vous plaignez toujours, mais vous ne voulez pas remettre en cause vos pratiques ».
D’accord !...
Mais nos pratiques sont historiquement construites et déontologiquement ancrées. Ce que nous voulons changer, c’est le mépris dans lequel on nous tient. Ce que nous voulons changer, c’est le regard que nos « décideurs » portent sur les personnes que nous accompagnons. Ce que nous voulons changer ce sont les moyens dérisoires qui nous sont accordés. Ce que nous voulons changer ce sont les évaluations crétines dont notre travail fait l’objet. Les pouvoirs publics sont toujours prêts à construire des plans contre la pauvreté, pour l’enfance, contre les violences faites aux femmes…mais qu’en est-il des moyens humains et financiers octroyés ? Quel(le) travailleur(se) social(e) peut se contenter des câlineries hypocrites (« Être travailleur social, c’est la classe ! ») du Ministre des Solidarités et de la Santé ?
Alors donnez-nous de vrais moyens en CHANGEANT votre façon de voir le monde.
Changez pour un humanisme qui a les moyens de ses ambitions.
Changez pour supprimer les dispositifs de domestication des personnes.
Changez pour promouvoir un service public garant de l’émancipation.
Réorganisez-vous donc en conséquence…