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✚ Après la mort de Nahel • Blues….
Par Étienne Liebig, ancien chef de service d’une association de prévention spécialisée à Montreuil (Seine-Saint-Denis) et chroniqueur à Lien Social.
Je ne sais pas si je suis plus déprimé par la mort injuste de ce gamin, par le traitement de médias, par la casse de lieux publics, par la récupération immonde de l’extrême droite ou par la cagnotte surréaliste pour le policier qui a tué Nahel (1). Dans cette affaire tout est triste, tout est moche, tout est cafard.
Les banlieues sont laides en général, elles n’ont ni le charme de la campagne, ni la beauté des grandes villes, elles ont été construites autour ou à distance des centres-villes pour loger le maximum de gens dans le plus petit espace possible, le maximum d’ouvriers d’abord puis de pauvres dans une logique avouée de ghettos autonomes.
Il y a longtemps déjà que les habitants de ces quartiers se sentent relégués, que l’école n’est plus investie comme une chance de « réussite » et que les jeunes ont développé une forme d’acceptation de leur condition, enrichie par la force de l’amitié, les petits boulots et la démerde.
À Nanterre (Hauts-de-Seine), le 29 juin, lors d’une marche blanche, plusieurs milliers de personnes ont rendu hommage à Nahel, 17 ans, tué par le tir d’un policier. © Thomas Padilla/MAXPPP
Finalement, les banlieues sont relativement calmes et ne se mêlent pas trop des conflits ordinaires comme la révolte les Gilets Jaunes ou les manifs contre la retraite à 64 ans, comme si ça ne les intéressait pas, comme si cela n’allait pas changer leur quotidien, pas plus que la politique ou les élections. Mais chacun sait que derrière ce constat (volontairement caricatural) il y a une énergie et un potentiel énorme portés par la jeunesse, qui, consciente des inégalités sociales criantes de ce pays a ce fort sentiment d’être sacrifiée sur l’autel du libéralisme à tout crin.
D’ailleurs, la jeunesse de ce pays dans son ensemble ressent fortement l’inconsistance des dirigeants politiques face à leurs préoccupations : la révolution des « genres », la protection de la planète, la peur de la guerre et le désir de partage des richesses. Les enfants de la banlieue sont simplement plus à fleur de peau et prêts à en découdre avec les institutions.
Les commentateurs se sont étonnés du jeune âge des « émeutiers » mais qui a fabriqué la préadolescence ? Qui en a fait des clients du système économique, avec leurs fringues, leurs jeux, leurs réseaux sociaux, leurs héros, leurs vedettes, différents de leurs aînés ? Ces gamins de 12/14 ans sont bien autre chose aujourd’hui que des « filles et fils de leurs parents », ils ont une réelle existence sociale, économique, culturelle et tous les parents sont démunis devant ce changement fondamental.
Un préfet de la République peut bien prôner le « deux claques et au lit » avec un sourire entendu… qui use de cette méthode pédagogique d’un autre temps sur ses enfants de 13 ans aujourd’hui ? Le préfet ? Ceux qui prodiguent des conseils de fermeté à la télé ?
Voyez, même sur ce sujet de l’éducation et du désarroi des parents, nous aurions pu essayer de discuter, de lancer des débats, d’écouter les gens mais non. Tout a été sali par les intérêts politiques des uns et des autres et peut être bien que ce qui me déprime le plus c’est ce sentiment que Nahel est mort pour rien… Que personne n’est sorti plus réfléchi, de cette triste histoire. Ni la police, ni les politiques, ni les parents, ni les éducs, ni les commentateurs. Je vous l’avais dit : tout est triste, moche et cafard.
- La cagnotte en soutien à la famille du policier mis en examen pour homicide volontaire après l’assassinat de Nahel, lancée à l’initiative de Jean Messiha, a recueilli plus d’un million d’euros en quatre jours.
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