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■ ACTU - Exil • L’accueil criminalisé

Le 17 octobre, à la bourse du Travail de Paris, deuxième en partant de la gauche, Dominico Lucano, ancien maire de Riace, puis Anaïs Vogel et Ludovic Holbein, les deux militants qui ont mené une grève de la faim à Calais. (c) Marianne Langlet

A Paris, ce 17 novembre, la grande salle de la bourse du travail à Paris déborde. La soirée de soutien à Dominico (Mimmo) Lucano fait le plein. Ce maire du petit village de Riace, en Calabre, est devenu le symbole d’une autre politique possible en matière d’immigration. Tout commence en 1998, lorsque sur la plage de ce village de 500 habitants, déserté par ces habitants, gangréné par la mafia, s’échoue un bateau avec 200 Kurdes à bord. Leur accueil redonne vie au village : les maisons abandonnées sont réhabilitées, une école ouvre, des activités artisanales renaissent, une monnaie locale se crée… une dynamique notamment portée par Dominico Lucano qui devient maire en 2004 , réélu en 2009 puis 2014. L’histoire est magnifiquement racontée par le documentaire Un Paese di Calabria.

Une campagne virulente de dénigrement de cette politique commence avec l’arrivée au ministère de l’Intérieur de Matteo Salvini. Elle se poursuit jusqu’à l’arrestation du maire en 2018 pour aide à l’immigration clandestine. En septembre 2021, il est condamné à 13 ans de prison et 500 000 euros d’amendes. Une condamnation « lourde, exagérée et hors norme », pointe une tribune de soutien, signée par 300 personnalités publiée dans Le Monde le 20 octobre dernier. « Ce n’est pas la lourdeur de la condamnation, ni même la possibilité que j’aille en prison qui me font le plus peur mais le dénigrement de la seule politique possible : l’accueil », dit Mimmo Lucano lors de cette soirée de soutien.

A ses côtés, les deux grévistes de la faim de Calais, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein, annoncent interrompre leur grève entamée le 11 octobre dernier. Après 37 jours de jeûne pour dénoncer les traitements inhumains des exilés à Calais, Ludovic Holbein affirme qu’ils sont « fatigués et en colère de ne pas être écoutés ». Auprès de Mimmo Lucano, il appelle à retrouver « des yeux humains ». Sa compagne remercie le maire d’avoir « redonner du sens au mot politique ». Egalement présent, l’ancien maire de Grand-Synthe, Damien Carême, ne cache pas sa colère face à la politique actuelle en France, notamment dans le Calaisis et à Briançon où le seul refuge solidaire, qui peut accueillir 70 personnes, a dû fermer ses portes faute de places suffisantes pour recevoir dignement les personnes qui passent la frontière par les montagnes. « Ils arrivent parfois par moins 17, dans la neige, en simples baskets », s’insurge Damien Carême.

Le 16 novembre dernier, l’association Tous Migrants a saisi le tribunal administratif de Marseille pour enjoindre l’Etat à mettre en œuvre un accueil et un hébergement dignes pour les personnes qui arrivent sur le territoire du briançonnais. Face à l’urgence, Médecins sans frontières a installé une tente humanitaire alors qu’il commence à neiger.

Une tente est installée à Briançon, 1300 mètres d’altitude, pour pallier à l’urgence et abriter les exilés alors que la neige s’installe. (c) Juliette Pascal

« La situation est critique », juge Sam, un bénévole de terrain, qui rappelle que le refuge a fermé lorsqu’il s’est retrouvé face à 250 personnes qui avaient besoin d’être hébergées. Impossible sans mettre dans une situation intenable les personnes accueillies comme les bénévoles qui tiennent à bout de bras ce refuge. Aujourd’hui, Sam estime à une centaine le nombre de personnes exilées qui se trouvent à Briançon dont une trentaine accueillies chez des hébergeurs solidaires. Pour les autres, des associations se sont mobilisées pour acheter des duvets qui supportent les moins 15 degrés, pour chauffer la tente, faire à manger… « Tout le monde est sur le pont, c’est épuisant et le fait d’être confronté à cette précarité extrême et cette invisibilité des personnes exilées pèse psychologiquement », témoigne Sam. « Cette situation, cette mobilisation collective, ne peut pas s’inscrire dans la durée », ajoute-t-il. Jusqu’à quand l’accueil tiendra sur les seules épaules des associations et collectifs citoyens ?

Marianne Langlet