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■ ACTU - Exilés • Politique de rejet

Le campement de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis avant son démantèlement. © Alexandra Henry

« Nous qui dormons sous vos ponts ». Dans une tribune publiée par Libération le 4 novembre, des exilés installés dans un campement sous l’embranchement de l’autoroute A1 décrivaient leur quotidien intolérable : « La police nous a chassés hors de Paris. Nous sommes contraints de vivre sous les ponts à Saint-Denis, là où personne ne nous voit ».

Pour la plupart demandeurs d’asile, ils ont vécu dans ce campement insalubre pendant plusieurs mois avant une évacuation organisée le 17 novembre. Dans leur tribune, ils expliquaient : « Après chaque évacuation, l’OFII remet à la rue des dizaines et des dizaines de personnes. Parce qu’ils sont « dublinés » ou ont été « dublinés », car ils ont été expulsés et sont revenus en France, car ils sont dû quitter un précédent hébergement… L’OFII cherche toutes les raisons possibles pour nous priver d’un hébergement ! ». Ce scénario s’est une nouvelle fois répété ce 17 novembre. La préfecture indiquait que le campement comptait à son évacuation 3000 personnes et que tous ont été relogés, essentiellement sur des places temporaires en gymnases. Les associations indiquent au contraire qu’environ 500 personnes n’avaient pas eu de propositions d’hébergement.

Traquées, pourchassées

Ces personnes ont été traquées, pourchassées par les forces de l’ordre. Les jours suivant cette évacuation, plusieurs centaines de personnes erraient dans les rues de la capitale. Lundi 23 novembre, pour rendre visible cette situation, alerter l’opinion et les pouvoirs publics, demander une mise à l’abri, l’association Utopia 56 en accord avec les exilés concernés a décidé d’organiser une mobilisation avec l’installation de tentes place de la République. Le démantèlement qui a suivi a été d’une « violence inédite », affirment dans un communiqué commun Amnesty International, la Cimade, Médecins du Monde, Médecins sans frontières et le Secours catholique qui réclament une commission d’enquête parlementaire pour le respect des droits des personnes exilées.

« Après la confiscation brutale des tentes et couvertures, les exilés et certains de leur soutiens ont été encerclés par de nombreuses forces de l’ordre, nassés, dispersés avec des grenades de désencerclement puis pourchassés dans les rues pendant plusieurs heures sans relâche », témoigne Médecins sans frontière qui annonce porter plainte contre le préfet de police de Paris. La Fédération des acteurs de solidarité dénonce une « impasse inacceptable ». Florent Gueguen, son directeur, pointe « l’effet de sidération et la colère des associations de lutte contre l’exclusion face à ces violences sur les personnes, les associatifs, certains journalistes ».

Harcèlement quotidien

« Nous avons été extrêmement choqués par la manière dont cela s’est déroulé. La décision de démanteler le campement a été prise 15 à 20 minutes après l’arrivée des forces de l’ordre. Nous avons eu une discussion avec leur responsable qui a duré cinq minutes, pas de discussion possible. Et ensuite la violence des scènes qui ont suivis nous ont extrêmement choqués : des personnes jetées de leur tente, poursuivies dans la rue, matraquées… », témoigne Kerill Theurillat d’Utopia 56. Qui ajoute que ce harcèlement policier est le quotidien des personnes exilées à la rue. Le Gisti appuie : « Si la brutalité policière de la place de la République justifie pleinement les condamnations indignées qu’elle suscite, elle n’a pour autant rien à envier à celle que subissent pareillement, à Calais et dans sa région, les centaines d’exilé·es ». La politique de lutte contre les « points de fixation » est pleinement assumée par les pouvoirs publics, explique le Gisti. « Dispersion systématique des campements, harcèlement policier permanent, confiscation des tentes et des effets personnels, coups, invectives, gazages, sont régulièrement constatés et documentés par les associations et bénévoles qui, dans une indifférence fataliste, s’épuisent à tenter d’inverser la logique du rejet ». Et d’ajouter : « Cette opération de police n’a fait que mettre en évidence le traitement que les exilés subissent en réalité depuis des mois, sinon des années ».

Mortelles frontières

Une politique qui tue. Une enquête commune, intitulé « Deadly Crossings » (Mortelles traversées), réalisée par l’Institut of Race relations (IRR), le Tribunal permanent des peuples (TPP) de Londres et le Gisti vient d’être rendue publique ce 23 novembre. Elle révèle qu’au moins 297 personnes sont mortes en tentant de franchir la frontière entre la France et le Royaume-Uni depuis 1999. « Ecrasées par la cargaison d’un camion ou broyées par l’essieu, électrocutées par les caténaires de l’Eurotunnel, percutées par un véhicule sur l’autoroute A16 ou noyées en essayant de franchir le Channel en bateau, en kayak ou tout simplement à la nage avec des bouteilles en plastique comme seules bouées de fortune. Mortes également du fait des conditions de vie inhumaines que leur réservent les gouvernements français successifs depuis plus de 25 ans ». En faisant cette enquête, les associations veulent rendre un nom et une histoire à ces personnes. Et rendre visibles les effets d’une politique choisie.