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■ ACTU - Hôtels sociaux : l’éternelle urgence
Insalubrité, harcèlement sexuel, suroccupation… Des ménages hébergés à l’hôtel dénoncent des conditions de vie indignes et un isolement accablant. De son côté, le Samusocial de Paris a mis en place un ensemble de mesures pour améliorer l’accueil dans ces structures sociales improvisées.
Laurine regarde à la fenêtre de sa chambre d’hôtel du 11ème arrondissement de Paris - ©Jérémie Rochas
Les inquiétudes sur les conséquences de l’hébergement durable à l’hôtel sont nombreuses et ne datent pas d’hier. En avril 2005, l’incendie de l’hôtel Paris-Opéra occupé en majorité par des familles orientées par le Samusocial et causant la mort de vingt-cinq personnes dont onze enfants, fera l’effet d’une douche froide. En 2014, l’Observatoire du Samusocial publiait les résultats d’une enquête menée auprès des enfants et familles sans logement (ENFAMS). Le rapport préconisait déjà une réforme profonde du système d’hébergement, constatant un « dispositif dominé par les hôtels sociaux, où vivent les trois quarts des familles ». Les conclusions de l’enquête se voulaient alarmantes : « ces hôtels consacrent le règne du provisoire, les conditions d’habitation y sont moins bonnes qu’ailleurs et l’instabilité résidentielle nettement plus prononcée. »
Le 5 février 2021, le plafond de la chambre de Laurine s’est écroulé́ sur son lit alors qu’elle dormait - ©Laurine
Huit années plus tard, l’hébergement hôtelier semble être devenue incontrôlable. « Il avait été initialement conçu comme une solution d’hébergement transitoire, un accueil d’urgence, quelque chose de souple qui permettait de répondre vite et de mettre à l’abri des gens dans des conditions correctes. Cette philosophie d’origine est dépassée puisqu’aujourd’hui, plus de la moitié de l’hébergement en Île-de-France est assurée par de l’hébergement hôtelier, la durée moyenne de séjour à l’hôtel est de deux ans et demi », explique Vanessa Benoit, directrice générale du Samusocial de Paris. Selon la responsable, cette situation s’est imposée « par facilité et par pression » au regard d’un besoin considérable de places d’hébergement. Pour un coût à la nuitée qui avoisine les 17 euros, le recours à l’hôtel est devenu le moyen le plus rentable pour faire face à une demande de mise à l’abri en hausse constante. L’arrêt de l’activité touristique résultant de l’épidémie a permis au Samusocial d’élargir encore son parc hôtelier d’une centaine d’établissements. Ainsi, en 2020, plus de 60 000 personnes ont été hébergées à l’hôtel, un système « insatisfaisant » mais dans lequel « chaque acteur fait du mieux qu’il peut sur un objet détourné de sa finalité », reconnait Vanessa Benoit.
Rompre l’isolement
Pour lutter contre l’isolement et s’assurer de la sécurité des personnes hébergées à l’hôtel, un ensemble de mesures a été progressivement mis en place par le Samusocial. Comme le prévoit la loi pour les établissements recevant du public, chaque hôtel partenaire doit se soumettre à une commission de sécurité chargée du contrôle des normes d’accueil avant son ouverture. En interne, le pôle Delta reçoit les signalements et est en charge de la médiation ou de la vérification des conditions d’accueil inscrites dans une charte signée par les huit cent vingt fournisseurs hôteliers de la région. L’équipe composée de binômes médiateur-intervenant terrain a visité 22 200 chambres en 2021. Le service qualité cherche à « s’assurer que la famille, au vu de la précarité de la situation et des conditions de vie parfois insatisfaisantes, arrive à s’en sortir, à dormir et se nourrir correctement, à inscrire les enfants à l’école », indique Caroline Delus, directrice du pôle Delta au Samusocial de Paris. Le programme Mieux vivre à l’hôtel a été mis en place dès 2014 et en réponse au rapport ENFAMS pour « fournir aux familles les services nécessaires à l’amélioration immédiate de leur quotidien ». Face à l’immensité du parc hôtelier, les équipes de Delta ne peuvent pas répondre à l’ensemble des problématiques. « Nous visitons tous nos hôtels deux fois par an et nous allons sur l’ensemble des signalements reçus mais bien entendu si le signalement n’arrive pas et que la visite n’est pas prévue à cette date-là, la personne peut attendre un bon moment », précise Caroline Delus.
Le 21 avril 2022, les délégués du Collectif régional des personnes accompagnées et hébergées (CRPA) étaient invités par le Collectif d’organismes d’hébergement et d’accompagnement vers le logement (COHAL) pour s’exprimer sur leurs difficultés en hébergement - ©Jérémie Rochas
L’isolement des ménages reste le point noir de l’hébergement hôtelier. Depuis janvier 2021, la plateforme Accompagnement global pour l’accès aux droits et à la lutte contre les exclusions (Agate) propose un accompagnement social à un certain nombre de ménages hébergés dans les hôtels parisiens. Le dispositif se veut pluridisciplinaire et s’articule autour de travailleurs sociaux, de juristes spécialisés en droit des étrangers, de techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), de conseillers en insertion professionnelle, et plus récemment d’une sage-femme et d’une puéricultrice. L’objectif principal est celui d’une sortie rapide des ménages hébergés à l’hôtel. Dans les faits, la plateforme n’a la capacité d’accompagner qu’une partie des ménages isolés privés d’accompagnement social. Sur les 28 000 ménages hébergés à l’hôtel, seuls 900 bénéficient actuellement de cet accompagnement. « Le plus important c’est que toute personne hébergée, quel que soit le type d’hébergement, puisse bénéficier d’un accompagnement social et ce n’est pas encore le cas. C’est pour moi réellement un enjeu. Depuis la création d’AGATE, nous avons rencontré des personnes présentes à l’hôtel depuis des années sans accompagnement social, elles n’arrivaient pas à en sortir », relate Anne-Ségolène Goumarre, directrice des Équipes mobiles du Samusocial de Paris. L’obstacle premier à cette sortie d’hôtel reste la saturation du dispositif d’accès aux logements. « À l’heure actuelle, à Paris, il y a plus de 3 000 ménages prêts au logement, priorisés, et toujours en attente d’une proposition. C’est le plus gros frein pour les personnes en situation régulière et ayant un emploi », déplore Anne-Ségolène Goumarre.
La toute-puissance des hôteliers
Malgré le contrôle du Samusocial, certains propriétaires d’hôtels ont décidé d’ignorer la sécurité de leurs occupants, bien conscients de leur pouvoir face au manque criant de possibilités de réorientation des ménages lié à la saturation du dispositif d’hébergement. Ainsi Aminata vit dans un hôtel du 19ème arrondissement depuis 2017. Lorsqu’elle constate la présence de rats dans sa chambre, elle sollicite l’hôtelier. « Déjà que vous ne payez rien, vous n’allez pas vous plaindre en plus », lui rétorque le propriétaire. Elle décide de prévenir le Samusocial qui enjoint alors l’hôtelier d’assumer ses responsabilités. « Il me menace de me mettre dehors si je préviens à nouveau le 115. Je n’arrive plus à dormir la nuit. Les rats grimpent sur moi. La nuit je les entends creuser dans les murs. Mes vêtements sont déchirés, ma nourriture ne peut pas être conservée », soupire l’étudiante. La présence de nuisibles dans les lieux d’hébergement est une problématique fréquente pour le Samusocial de Paris, et plus particulièrement à l’hôtel où les conditions de stockage de la nourriture sont limitées. « Nous avons des exigences en termes de contrat d’entretien, les hôteliers doivent traiter à la demande et ce n’est pas une option pour eux, il peut y avoir une pénalité à l’appui », précise Caroline Delus. Pourtant, Aminata est encore contrainte aujourd’hui de vivre dans les mêmes conditions, l’hôtelier refusant toujours d’assumer ses responsabilités. Plus tard, elle sera également victime d’harcèlement sexuel de la part du veilleur de nuit, licencié depuis les faits. « Il m’appelait jour et nuit sur mon téléphone. Il rentrait dans ma chambre au milieu de la nuit », se souvient-elle. Toutes les femmes rencontrées racontent l’absence d’intimité et une insécurité permanente vis-à-vis de la présence des hommes dans les lieux communs. « Nous exigeons de nos fournisseurs qu’ils se séparent du personnel envers lequel il existe une suspicion de cet ordre », confirme Caroline Delus. Le cas d’Aminata n’est pas isolé, les travailleurs sociaux du pôle DELTA rencontrent régulièrement des victimes de harcèlement sexuel dans les hôtels parisiens et les encouragent à porter plainte. Le Samusocial a aussi pour usage de « déclencher l’article 40 » pour signaler les faits au Procureur de la République si la victime souhaite garder le silence. « Il y a des veilleurs de nuit qui sont dans une toute puissance et qui estiment pouvoir tout proposer sans aucune borne », regrette Caroline Delus.
Les murs de la chambre d’hôtel de Laurine sont couverts de moisissure - ©Jérémie Rochas
Même si la responsable estime que « l’hôtel a un avantage non-négligeable pour les ménages : celui d’offrir une certaine autonomie et liberté, elle reconnait que c’est aussi un endroit dans lequel vous n’avez pas de soutien au quotidien et des difficultés matérielles qu’il faut savoir affronter ». En 2019, Laurine est soulagée d’avoir obtenu une place dans un hôtel du 11ème arrondissement après plusieurs années d’attente. Cependant, elle remarque tout de suite l’insalubrité de la chambre. « Un jour le plafond a commencé à s’écailler, j’ai prévenu l’hôtel. Ils m’ont dit de ne pas m’inquiéter et l’ont signalé au 115. Le plafond s’est effondré sur moi huit mois plus tard à 4 heures du matin », relate-t-elle. Elle s’en sort indemne malgré de fortes douleurs à la tête. Elle sera réorientée dans un autre hôtel le lendemain des faits.
« L’hébergement en hôtel social produit des effets délétères sur les relations familiales et amicales, la scolarité et la santé des adolescents », concluait une étude réalisée par l’Observatoire du Samusocial de Paris et le Défenseur des Droits en février 2019. « Nous avons une longue liste de familles en situation de suroccupation. Dès qu’un ménage est composé de trois personnes, cela devient compliqué de trouver une solution », confirme Stéphanie Lerondeau, responsable qualité au pôle Delta. Par sécurité, il est strictement interdit aux familles de s’équiper de matériel de cuisine dans les chambres. Des familles soucieuses de l’alimentation de leurs enfants et contraintes de vivre plusieurs années dans une chambre exiguë, prennent souvent le risque d’installer officieusement des plaques de cuisson. Pendant un an, Mélanie a vécu avec son mari et ses deux enfants dans une chambre prévue pour trois personnes. « Mon enfant était couvert de piqures de punaises de lit et faute de place, il a fini par se brûler le bras avec la plaque de cuisson », raconte-t-elle. Il aura fallu des dizaines d’appels au 115 pour que l’on prenne en compte sa détresse. « Un numéro dédié serait nécessaire. Certains jours, je recevais plus d’appels de personnes hébergées que de personnes à la rue », se souvient Shaista qui a récemment quitté son poste d’écoutante sociale au 115 pour d’autres horizons. En 2020, sur les 5 223 appels reçus en moyenne chaque jour par les opérateurs, moins de 20 % ont obtenu une réponse. Un chiffre inquiétant qui ne cesse de croître. « Ces dernières semaines, 1200 personnes n’ont pu obtenir de réponses favorables », déplore Quebuathe Batica, tutrice au Pôle Delta.
Point de non-retour
En France, le nombre de nuitées hôtelières a quintuplé en onze ans. Le Samusocial est arrivé à un point de non-retour. « On ne peut plus sortir 60 000 personnes d’hôtel, (…) La solution hôtel a tellement été utilisée massivement, même avec un plan de réduction, on n’en sortira pas durant les quinze prochaines années. Il faut finir par assumer le fait que certains d’hôtels sont des structures d’hébergement », se résigne la directrice du pôle Delta. Même si l’organisation aimerait « se séparer » d’une partie de ses partenaires hôteliers qui ne respectent pas les conditions d’accueil, le manque de solutions de remplacement et le prix de l’immobilier « devenu irrationnel » rendent la tâche épineuse. La situation paraît inextricable dans l’état.
Pour sécuriser et formaliser les modalités d’accompagnement des ménages à l’hôtel, le Samusocial plaide pour la création d’un statut juridique spécifique pour transformer les hôtels de tourisme en structures « qui auraient vraiment une vocation à accueillir des personnes orientées par des organismes sociaux », sur le modèle par exemple des établissements touristiques transformés en centre d’hébergement d’urgence (CHU) pendant le premier confinement. Ce statut permettrait également d’imposer des formations aux hôteliers qui seraient alors totalement investis dans le projet.
Un intervenant terrain du pole Delta va à la rencontre des ménages dans un hôtel parisien - ©Jérémie Rochas
Ce jeudi 21 avril, plusieurs délégués élus du Collectif régional des personnes accompagnées et hébergées (CRPA) ont été invités par le Collectif d’organismes d’hébergement et d’accompagnement vers le logement (COHAL) à s’exprimer sur les difficultés d’hébergement, notamment au travers de leurs expériences de vie en hôtel social. Plusieurs voix ont de nouveau alerté sur l’insalubrité de certains hôtels, le sentiment d’isolement et le comportement inapproprié des hôteliers. Leurs remarques et préconisations seront transmises au comité de suivi du Samusocial de Paris.
Dans les mois à venir, les professionnels devront faire face à de nouveaux défis. Même si l’hébergement d’urgence des réfugiés Ukrainiens sera financé intégralement par le ministère de l’Intérieur (Programme 303), l’enjeu est de taille et le conflit pas près de s’arrêter. L’organisation craint aussi que les Jeux Olympiques de 2024 constitue une nouvelle opportunité de spéculation immobilière qui la contraindrait à prospecter à l’extérieur de Paris « avec un risque de gel, voire de réduction » de sa capacité d’hébergement.
Jérémie Rochas