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■ ACTU - Le médicosocial à but commercial : « ne pas réguler, c’est choisir. »
France travail, petite enfance, grand âge, lutte contre l’exclusion... l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) est actuellement sur tous les fronts. Président depuis septembre 2022 et maître de conférences en mathématiques appliquées à l’Université de Paris 8 à Saint-Denis, Daniel Goldberg est également rompu à la politique après de nombreux mandats électifs dans le 93. Pour Lien Social, il livre son analyse de cette période de concertation tous azimuts sur des enjeux fondamentaux dans le médico-social.
Daniel Goldberg, président de l’uniopss depuis septembre 2022. ©Françoise Stijepovic
Ce gouvernement semble gouter la concertation, vous sentez-vous pour autant entendu ?
Je participe à ces concertations sans penser que nous avons la réponse adéquate sur tout, mais avec 75 ans d’existence, 35000 établissements et services associatifs représentés, 10 cœurs d’activités, nous avons une expertise de terrain. Par ailleurs, nos associations font du plaidoyer à partir de leur expérience de mise en œuvre des politiques publiques pour le compte de l’État et des départements.
En novembre, j’ai participé à 2h30 d’entretien avec Élisabeth Borne et un quart du gouvernement sur la stratégie pauvreté. La discussion a été d’une très bonne qualité avec une écoute très respectueuse. Sauf que le pacte des solidarités de cette stratégie pauvreté deuxième saison devait sortir en janvier puis en février, maintenant on l’attend fin avril début mai… ou en juin. Et nous avons la certitude que le contenu ne répondra pas à nos attentes.
Par exemple, quand nous préconisons l’ouverture des minimas sociaux aux moins de 25 ans, on nous rétorque que pour ces jeunes, les dispositifs existent. Moi, je vois que sur le campus de mon université, il y a une distribution alimentaire pour les étudiants deux fois par semaine. Je demande juste à ce que les décideurs des politiques publiques regardent la réalité de terrain.
Pensez-vous que le lancement de France Travail va justement répondre à ces réalités ?
Nous remarquons que le lancement de France Travail intervient dans un climat très particulier. Il y a eu l’allocution du Président de la République, mais surtout les déclarations particulièrement choquantes, de Bruno Lemaire et Gérald Darmanin, concernant les demandeurs d’emploi et les allocataires du RSA.
Ça interroge notre présence à France Travail aujourd’hui. Nous ne pratiquons pas la politique de la chaise vide, mais le gouvernement nous demande de participer au rendu d’un rapport auquel nous avons contribué, pendant que des ministres tiennent des propos aux antipodes de ce que nous pensons juste. Un gouvernement ne peut pas vouloir accompagner les allocataires du RSA d’un côté et, en même temps, les stigmatiser.
Concernant la lutte contre la maltraitance dans l’accueil de la petite enfance, les conclusions du rapport de l’IGAS semblent rejoindre les revendications du terrain ?
Le problème, c’est que les rapports s’accumulent, leurs constats se rejoignent, mais n’inspirent pas les décideurs. Sur le grand âge, nous avons rendu public notre plaidoyer début avril, 150 pages, 350 propositions, 50 fiches actions discutées pendant six mois dans notre réseau. Or le débat public sur le grand âge au parlement, les conclusions du Conseil national du bien vieillir et la proposition de loi pour bâtir la société du bien vieillir en France ne tiennent compte ni de ce travail, ni du rapport Libault de 2019, ni de celui de Myriam El Komri sur les métiers du grand âge. Le débat au parlement a été complètement déconnecté.
Demain, la courbe démographique va supposer une augmentation des besoins de prises en charge du grand âge. Or nous n’avons pas les professionnels ! Que risque-t-il donc de se passer ? Seules les personnes les plus favorisées accèderont au droit à l’accompagnement. Les autres devront se satisfaire de belles déclarations et des schémas économiques de l’État et des départements qui n’apporteront aucune solution concrète à leur perte ou à leur manque d’autonomie.
Comment le monde associatif peut-il lutter quand le privé lucratif s’engouffre dans la brèche ?
C’est là où ne pas réguler, c’est choisir. Nous demandons une régulation en limitant à un certain pourcentage le secteur commercial, en incitant les décideurs locaux à privilégier le public et l’associatif par des aides, en créant des dispositifs de soutien particulier pour les structures non lucratives afin qu’elles puissent se développer.
Quand Orpéa est repris par la Cour des comptes, la position de l’Uniopss n’est pas de laisser l’entreprise sombrer avec ses 250 000 personnes accueillies et ses 70 000 professionnels, mais le « new Orpéa » avec une nouvelle direction et de nouveaux objectifs, bénéficie d’1,3 milliard trois d’euros d’argent public pour se développer. Or, il n’existe pas de fonds dédiés au développement du secteur non lucratif, ce qui crée une distorsion de concurrence.
Aujourd’hui, il y a des besoins non pourvus et ils sont croissants. Dans le grand âge comme dans la petite enfance, l’urgence est de créer de nouvelles structures, du domicile, des établissements, un mixte des deux, des formules innovantes… On peut imaginer beaucoup de modèles, mais nos associations n’ont pas les moyens en fonds propres de répondre aux besoins. Nous défendons donc l’idée d’un fonds spécifique dédié au développement et à l’innovation.
Si vous parvenez à créer de nouvelles structures, comment pallier la pénurie de personnel ?
Si on veut que des jeunes s’engagent dans les métiers de l’humain, il faut leur donner une visibilité sur la rémunération. Qui dit revalorisation, dit argent public. Jean Castex avait conditionné le déblocage de 500 millions d’euros à l’élaboration d’une convention collective unique. Les pourparlers avancent dans ce sens, mais nous savons déjà que la somme nécessaire avoisine plutôt les 3 milliards. Le budget annoncé ne permettra donc pas les évolutions salariales escomptées et la pénurie de professionnels perdurera.
Il y a aussi les questions de parcours et d’évolution de carrière. La qualité première de ces métiers repose sur le contact avec la personne en situation de vulnérabilité, tout en maintenant une posture professionnelle. La possibilité d’évoluer professionnellement en étant formé tout au long de sa carrière peut permettre de redonner de l’attractivité à ces métiers. Aujourd’hui, des jeunes sont formés à être dans des postures d’encadrement, à monter les bons dossiers pour gagner les bons appels à projet ou à manifestations d’intérêt. Ils apprennent à savoir remplir les bonnes cases, les bonnes normes, il y a un problème de fond. Si on ne redonne pas un peu de souffle et de capacité d’initiative à ces professionnels, on n’aura pas d’attractivité.
Il faut agir sur la rémunération, la transversalité des métiers, la formation initiale et continue, la capacité d’initiative, la qualité de vie au travail. Ce dernier aspect passe par le taux d’encadrement, mais aussi par un projet associatif assumé pour lutter contre l’hyper-normativité.
Myriam Léon