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■ ACTU - Violences entre bandes • Regard d’une éduc

Suite au décès de trois adolescents, dont deux dans l’Essonne (91) lors de rixes entre bandes, le ministre de l’Intérieur demande aux préfets de réaliser un diagnostic départemental des violences entre bandes d’ici le 10 mars. Lien Social recueille les observations de Laurette Farges, éducatrice en prévention spécialisée depuis 30 ans dans le 91, syndiquée à Force ouvrière.

Pourquoi des jeunes d’un quartier décident-ils d’aller se battre avec ceux d’un autre quartier ?

Ils sont en manque de fierté d’eux-mêmes alors ils entrent dans des échanges musclés entre quartiers, ça devient une question de dignité. Si on veut éviter les guerres de gang, il faut que les collégiens aient des perspectives d’avenir valorisantes, pas uniquement le lycée pro en maintenance d’équipement industriel ou le CAP maçon. L’éducation nationale reproduit les inégalités alors qu’elle devrait permette la réussite de tous les enfants, pour y arriver il faut commencer depuis l’école primaire. Pour ça, il faudrait arrêter d’enlever des moyens à l’école et au collège. Actuellement il n’y a quasiment plus de personnel dans les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et il n’y a quasiment pas d’accompagnement individualisé même dans les zones d’éducation prioritaire or ces enfants en ont besoin pour ne pas décrocher.

Les phénomènes de bandes ont toujours existé, avec des rivalités entre quartiers, même entre villages, qu’est-ce qui a changé ?

Avant il n’y avait ni téléphone portable, ni réseau sociaux. Quand il y a avait une guéguerre entre deux groupes, il fallait qu’ils se voient dans la rue et qu’ils se parlent. Ça arrivait forcément aux oreilles des acteurs de l’éducation populaire, éducateur de rue, entraineur de foot, grand frère, pion du collège, animateur du service municipal de la jeunesse, association de quartier... il y avait beaucoup de monde. Depuis dix ans, les ministères réduisent le nombre de postes et le réseau d’éducation populaire s’étiole, il n’est plus en capacité de faire de la prévention. Il y a un manque d’adultes référents à tous les niveaux. Un autre facteur découle d’un phénomène de mutation des éducateurs de prévention spécialisée. Ce turn over empêche d’être au courant des préparations de bagarres. Pour que ça remonte jusqu’à nous, il faut avoir la confiance des plus grands et pour l’obtenir, il faut rester longtemps dans le quartier. Les adolescents qui se défient sur WhatsApp sont en rébellion contre toute la société, ils veulent régler les problèmes par eux-mêmes, avec un sentiment de toute puissance bien de leur âge. Ils n’en parlent ni aux éducateurs, ni aux animateurs, mais les grands frères finissent par être au courant. Or, quand ces derniers comprennent notre manière de travailler, c’est-à-dire s’appuyer sur les personnes ressources du quartier plutôt que d’alerter immédiatement la police et la gendarmerie, ils peuvent se tourner vers nous. Si on est là depuis longtemps, le jour où ça craint, nous pouvons intervenir en trouvant la personne qui peut influencer positivement.

Sachant qu’on est sur un travail de fond sur plusieurs générations, pourquoi les structures mutent les éducateurs alors que ça détricote les liens tissés sur le terrain ?

En Essonne, ça fait dix ans que le conseil départemental nous incite à fusionner, et que l’État soumet ses financements à des appels à projet. Avant dans les conseil d’administration, il y avait des gens proches des jeunes, des éducs, des territoires et ils nous écoutaient. Avec la généralisation des appels à projet, seules les très grosses associations parviennent à survivre et elles mangent les petites. Les CA s’éloignent du terrain, ne le comprennent pas. Ils sont convaincus de savoir, ils prennent des décisions et les éducateurs doivent rester dans leur position de salariés et les appliquer. Un fonctionnement vertical avec des administrateurs qui gèrent ça comme une entreprise. Bilan, on laisse les situations pourrir. L’aide sociale à l’enfance n’a absolument pas les moyens de suivre les jeunes qui en ont besoin. Le temps qu’une mesure de protection arrive dans les mains d’un éducateur et qu’il puisse commencer à rencontrer la famille, il s’est passé au moins six mois.

Propos recueillis par Myriam Léon