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■ Paroles de métiers - Travail à domicile, comment rentrer chez les bénéficiaires ?
Par Maxime Pinot, assistant de service social
Il n’est jamais facile de pénétrer dans l’intimité des familles que nous accompagnons. Cela demande réserve, apprivoisement, confiance. Est-on invité ? S’invite-on ? Comment faire accepter une mesure de justice obligatoire ?
Et si je vous parlais d’un futur où vous, travailleurs sociaux, vous pourriez, devant la webcam de votre ordinateur, appeler en visio la personne que vous accompagniez ? Bon, OK, c’est un futur déjà présent.
Mais si je vous disais maintenant qu’en envoyant un SMS à la personne, celle-ci vous donne les commandes de son téléphone, vous pouvez ainsi lui demander de filmer les documents devant elle, vous pouvez surligner sur l’écran ceux qui sont utiles à votre suivi, vous pouvez, par signature électronique, confirmer l’engagement d’une mesure d’accompagnement.
Alors, je vous fais marcher. Parce que ce n’est pas le futur. Ces technologies existent déjà et vont bouleverser dans très peu de temps nos pratiques d’accompagnement, surtout celles concernant la VAD, pas l’arbitrage vidéo (ça, c’est la VAR), pas la garde à vue (ça, c’est la GAV), je parle de la Visite à domicile (VAD)
.
À force de constater la dégradation accélérée du travail social et du social, on n’aurait pas tendance à se dire que c’était mieux avant (et être un petit peu réactionnaire), sans le télétravail, sans l’accompagnement à distance, sans être au contact ? Comme vous, ça m’a amusé deux minutes, les apéros en visio pendant le Covid, comme vous, je préfère un apéro dans une vie faite de sensorialité.
Est-on invité ou s’invite-t-on ?
Mais en prenant ce cas saillant, des transformations de notre métier se posent des questions qui pour moi apparaissent plus fondamentales que celles des outils technologiques : quelle place a une personne accompagnée lors d’une visite à domicile ? C’est quoi la visite ? C’est quoi le domicile ? Est-on invité chez les personnes ou s’invite-t-on ? Est-ce qu’un rendez-vous sur le banc en bas de l’immeuble, sous l’arbre d’un parc ou au café du coin ne serait pas une invitation à rendre visite ? Est-ce que l’étude du sans-abrisme, des populations incarcérées, ne nous a pas appris que la notion d’habiter peut revêtir plusieurs formes ?
Ce truc de visite a quelque chose qui me crée de l’embarras, les seules créatures mythologiques qui utilisent la ruse pour se faire inviter chez les gens, ce sont les vampires. Alors avant d’équiper les logements de gousses d’ail et de pieux, peut-être qu’on pourrait s’interroger sur le choix, l’adhésion, le consentement, la participation des personnes que l’on vient visiter.
Lors de l’accompagnement au logement, il existe une certaine tension qui permet de mobiliser les personnes jusqu’à l’obtention de leur appartement. Cette tension s’étiole forcément une fois que le ménage est rentré dans les lieux. Pourtant l’accompagnement à domicile semble nécessaire. Mais que vient-on y chercher ? Chercher à évaluer la capacité à habiter, la bonne appropriation du logement, la gestion en bon père de famille ?
S’interroger sur le choix, l’adhésion, le consentement, la participation des personnes que l’on vient visiter
Il semble que la symbolique du logement soit tout aussi importante pour ceux qui l’occupent que pour nous, les visiteurs travailleurs sociaux. Mais au fond, est-elle si importante que ça dans une recherche de lien, d’intime, de confiance ? Il me semble que l’important dans notre mission d’accompagnement ne serait pas de rentrer chez les personnes concernées, mais plutôt de rentrer en relation avec elles, même si les termes de cette relation ne nous conviennent pas complètement.
On a beaucoup discuté, dans ces pages et ailleurs, de la notion d’habiter, de ce qui constitue le domicile. Et il apparaît qu’on demande encore trop peu aux personnes accompagnées ce qu’elles considèrent comme leur chez soi et ce que ce chez soi signifie pour elles.
L’arbitrage est certainement à faire entre le plaisir d’être invité à boire un café et à goûter des gâteaux venus de tous les pays du monde (plaisir dont je suis le premier coupable), et le vampirisme.
Alors avant d’enfiler nos casques de réalité virtuelle, il nous reste du temps pour nous interroger ; comment redonner sens à l’exercice de la visite à domicile et comment intégrer les personnes concernées à cette question ?
