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✖ BILLET : pas en notre nom !
Comme beaucoup d’entre nous, j’étais devant mon petit écran, ce mercredi 27 janvier sur France 3, pour la dernière de « Pièces à conviction ».
Comme le spectateur profane, j’ai été outré par le sort réservé à ces enfants mineurs qu’ils soient étrangers ou non, abandonnés à eux-mêmes, alors que la loi ne fait pas de leur protection une option mais une obligation inconditionnelle et incontournable.
Comme tant de mes collègues travailleurs sociaux, j’ai senti la honte monter en moi et la colère exploser, en constatant combien la protection de l’enfant était salie par des pratiques dont l’ignominie n’avait d’égale que le cynisme le plus avilissant.
Mais, comme toutes celles et tous ceux qui ont consacré leur vie professionnelle à se tenir aux côtés des plus fragiles, je ne me suis pas reconnu dans ces scènes odieuses. Non, ce n’est pas ce que j’ai vécu, ce que j’ai accompli, ce que j’ai connu.
Comment comprendre ce décalage ? Peut-être, par l’absence d’au moins trois réalités dans ce documentaire.
La première a été à juste raison montrée : sur les plus de cents services de l’Aide sociale à l’enfance que compte notre pays et qui agissent au quotidien auprès de 300 000 mineurs et jeunes adultes, il en est certains qui non seulement ne remplissent pas leur mission de protection de l’enfance, mais qui s’inscrivent dans une maltraitance institutionnelle systémique. On ne sait pas combien sont concernés par une telle indignité. Mais, il n’y en aurait qu’un seul, il faudrait le dénoncer, sans aucune hésitation. Pour autant, « un arbre qu’on abat fait infiniment plus de bruit qu’une forêt qui pousse » dit le proverbe. Ne confondons pas ce qui nous a été présenté dans ce documentaire avec « LA » protection de l’enfance dans sa globalité. Un travail de qualité se déploie à bas bruit, sans faire la une des journaux ou le prime time d’une soirée télévisée. Il faut se tenir sur le chemin de crête entre le refus déterminé à laisser croire que de telles dérives insupportables sont généralisables et l’aussi grande fermeté à les identifier et les combattre quand elles existent. Car, c’est par leur dénonciation intransigeante que nous préserverons notre crédibilité.
La seconde réalité qui a manqué cruellement dans cette soirée, c’est l’analyse du mouvement de fond qui a commencé il y a de cela plus de trente ans. L’Etat est alors devenu non la solution, mais le problème, les gouvernements successifs cherchant à réduire les dépenses sociales pour renforcer la compétitivité de l’économie, entraînant la casse des services publics. Et si les effets de l’éreintement du système de santé ont pu être rendus encore plus visibles avec la pandémie, la détérioration de l’action sociale devient patente avec sa visibilisation sur le petit écran. Car, les carences de moyens face aux besoins des enfants en danger ne relèvent pas d’une quelconque négligence de tel ou tel Président de Conseil départemental. Elles sont le produit d’un choix de société. Les responsables politiques élus à la tête des Collectivités départementales ne sont pas seulement les victimes de ces détériorations, subissant les coupes franches dans leurs ressources. Ils en sont aussi les acteurs, partageant pour un certain nombre d’entre eux les paradigmes néo-libéraux qui en sont à l’origine. Et si le Conseil départemental des Hauts de Seine en est la caricature extrême, il est très loin d’être isolé !
La troisième réalité qui a été juste effleurée dans ce documentaire, c’est l’engagement de ces travailleurs sociaux qui sont au premier rang de la descente aux enfers que vivent certains jeunes pris en charge. Certes, iI en est qui se résignent, s’enfermant dans le déni ou la résignation, écrasés sous le poids de leur impuissance. Effectivement, il y en a d’autres qui démissionnent, se refusant à devenir complices de cette maltraitance. II doit aussi en exister qui appliquent les consignes désastreuses qu’ils reçoivent en n’y voyant pas trop à redire (à toutes les époques il y a eu des collaborateurs affirmant qu’ils ne faisaient qu’obéir aux ordres). Et puis, il y a celles et ceux qui résistent comme ils le peuvent, tentant de protéger à bas bruit les mômes qu’on leur a confiés, allant bien au-delà de leurs obligations professionnelles. Ceux-là ne cessent de crier pour faire entendre ce qui se passe. Mais bien peu les ont écoutés. Cette profession est l’une des rares à protester et manifester bien plus souvent pour défendre les intérêts des populations qu’elle accompagne que pour leurs propres revendications corporatistes.
« Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » affirme un autre proverbe. Oui, il faut dénoncer tous les scandales qui éclaboussent la protection de l’enfance, sans pitié, ni remord. Mais, il ne faut pas se contenter de s’en prendre aux effets, il faut aussi éclairer les causes profondes. Et renvoyer à l’ensemble des spectateurs qui se sont légitimement émus un certain nombre de questions : de quelle société voulons-nous ? Qu’avons-nous fait de nos services publics qui se délitent ? Combien de temps laisserons-nous les personnels du système de santé et ceux de l’action sociale s’époumoner dans le désert ? Il ne suffit pas de se scandaliser après avoir fermé sa télévision. Il faut aussi remonter à la source de l’immense gâchis qui s’aggrave depuis des décennies.
Jacques Trémintin