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► LE BILLET de La Plume Noire : Agha !
Albert savait y faire avec les enfants. Avec lui, ça filait droit et sec. Il ne s’embarrassait pas de réflexions éducatives. « Enculer les mouches » comme il disait, ou plus finement « Pinailler sur la sémantique » ça n’était pas son truc. Quinze ans qu’il officiait comme éducateur spécialisé dans cet IME, pas la peine de venir lui dire comment faire. Albert allait être le référent de François Durand qui effectuait, ici, son premier stage de formation auprès d’enfants plus ou moins déficients intellectuels. Lors de son arrivée, Albert, qui aimait mettre en avant ses années d’expérience, lui avait présenté les enfants, lui en avait tiré le portrait « Tu vois lui, il est comme ceci, il fait cela, alors, avec lui, ce qu’il faut faire et surtout ce qu’il ne faut pas faire, c’est ceci, c’est cela… ». Sûr de son affaire, ce professionnel connaissait son métier. Il détenait pour chacun des enfants, « nos jeunes » comme il disait, la solution adaptée, et il attendait de François qu’il s’y réfère, qu’il s’y colle, qu’il y colle. Impossible pour le référent d’envisager le pas de côté, celui qui aurait pu créer une respiration, un espace, un vide annonciateur de possibles. Albert ne savait pas, ne cherchait surtout pas à savoir, que l’expérience n’est rien quand elle puise sa source au cœur des certitudes ce qui lui permettait au passage en toute légitimité et impunité de parfois avoiner un gamin qui avait le malheur de se montrer un peu trop récalcitrant. Pour ça les « Neuneu » c’est pratique, ils ne disent jamais rien et quand bien même il se plaindraient il est facile de ne pas les comprendre.
Dans cet IME officiait également Nelson. Seize ans, long comme une perche, un filet de bave constant qui s’écoulait paisiblement sur cinq bons centimètres de sa lèvre inférieure et, pour seul mot de vocabulaire un « Agha » qu’il ponctuait d’un léger mais pour autant vif mouvement de tête tel un pivert tapant sur un tronc d’arbre. François était fasciné par cette tête qui soudainement s’animait sur ce long corps de grand dadais plutôt pataud au demeurant. Débordant d’affection, Nelson se rapprochait bien souvent des adultes pour les serrer dans ses bras. Beaucoup, refusaient. Les Zéducs, principalement Albert, avaient autre chose à faire que de se retrouver avec de la bave sur leurs vêtements. Désappointé, fâché, Nelson, à chaque refus, lançait son « Agha », le même depuis 4 ans d’accueil en ce lieu. Mais là, quelle aubaine, un nouvel adulte venait de faire son entrée dans l’arène. Tout sourire, Nelson se collait à François et posait le menton sur son épaule pour de longs moments de tendresse. Le tee-shirt de François, en fin de journée était littéralement trempé et Albert en réunion précisait que son stagiaire manquait de distance avec les jeunes.
Un jour, alors que l’étudiant arrivait sur le groupe accompagné d’Albert, Nelson s’est exclamé « A… Fran…ois ». Tout le monde a entendu et Albert, piqué au vif par ce coup d’éclat du grand béta, l’apostropha vertement :
Et moi Nelson ? Hein ! Et moi, comment je m’appelle ?
Agha !