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Ce jour-là cela tombait sur François Durand, éducateur spécialisé de son état. Il devait se rendre à une réunion au sein du conseil départemental pour présenter la situation de Caroline. Cette enfant est arrivée à l’âge de cinq ans sur la maison d’enfants à caractère social (Mecs). « Blonde, les yeux bleus, un sourire jusqu’aux oreilles… Une elfe, une fée des bois. » Voilà comment l’éducateur l’avait perçue lors de sa première rencontre avec elle. Trois ans plus tard, Caroline ne savait toujours pas lire, écrire et compter.
« Mais enfin, qu’est-ce qu’ils font dans cette maison d’enfants !? Ce n’est vraiment pas possible ! »
C’est-à-dire qu’il lui fallait du temps à Caroline pour comprendre. Comprendre pourquoi son père qui vivait toujours chez ses parents ne venait jamais la chercher pendant les vacances, ne venait jamais la chercher pendant les week-end, ne lui passait jamais un seul coup de fil. Il lui fallait du temps pour comprendre pourquoi sa mère, une fois le placement effectué, était parti vivre à plus de huit cents kilomètres avec un autre homme avec qui elle avait eu un autre enfant. Oui, il lui fallait du temps à Caroline pour comprendre, car dans un monde comme le sien, deux plus deux ne donne pas toujours quatre.
Au moment de partir, François Durand se ravisa. Il s’approcha de la gamine :
 Caroline, là, je vais à une réunion, il y aura quelques personnes, nous allons parler de toi, de ton papa, de ta maman, de comment ça se passe pour toi, ici au foyer, à l’école, de comment tu te sens… Est-ce que tu veux que je leur dise quelque chose de ta part ?
 Oui François, demande-leur pourquoi moi je ne peux pas y être à la réunion ?
 ...
François Durand arrive dans les locaux du conseil départemental avec, dans le creux de ses mains, les paroles de Caroline. Autour de la table une brochette d’intervenants. L’éducateur n’en connaît que très peu. Pour la plupart, ces professionnels ne connaissent pas Caroline et pour la plupart ils ne la connaîtront sans doute jamais : éducateurs spécialisés, assistants de service social, psychologues, secrétaire et pour faire office d’autorité, un inspecteur, aujourd’hui, une inspectrice. La réunion commence. Si Freud est convoqué, notamment au travers de l’œdipe, de l’absence du père, de l’altération du lien maternel, de la répétition du schéma générationnel, du fait qu’il ne fait aucun doute que Caroline est l’objet de sa mère ; Binet et Simon ne tardent pas à reprendre le dessus avec le quotient intellectuel, les pathologies orthographiques, les troubles neurologiques, les tests neurologiques ; « Tu vas nous montrer ce qu’il y a dans ta tête ! »
 Et alors monsieur Durand, ça se passe comment pour Caroline au foyer ?
 Ben… heu...en fait… heu… Caroline souhaiterait savoir pourquoi elle ne peut pas être parmi nous aujourd’hui ?
 …
L’espace d’une seconde qui semble comme ça suspendue dans l’éternité, un silence se fait et tout le monde se tourne vers l’inspectrice qui finit par répondre « Disons que quand elle aura dix-huit ans la question se posera à nouveau et on envisagera peut-être de la recevoir. »
Ben voyons, Caroline n’avait plus que dix ans à attendre. Après tout, ce n’est pas le bout du monde.