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La première fois que François Durand, éducateur spécialisé de son état, a rencontré Marylou Lemarquis (1), elle jouait avec son chien. Une petite bête à poils ras à peine plus grosse qu’un rat. L’enfant tirait l’animal par les pattes, le jetait en l’air, le laissait partir comme un chat le ferait avec une souris, le reprenait, le relancer, lui manifestait une tendresse des plus indélicates. François fixait avec anxiété les fines pattes du canidé et s’attendait à tout moment qu’elles se brisent dans un bruit sec de gressin. La bête a senti l’interrogation de ce nouveau venu et, dans une recherche de protection, s’est rapproché pour se blottir contre lui. Elle tremblait et il a pu sentir qu’elle s’apaisait. Malheureusement, le Juge des Enfants ne le missionnait pas pour apaiser la bestiole mais plutôt l’enfant. À ce qu’il voyait, cela n’allait pas être facile. Montée sur ressort, Marylou ne cessait de bouger et de sauter partout. François Durand voyait bien que madame Lemarquis, la mère de l’enfant, signifiait pour la forme l’interdit mais que cela n’avait aucun effet pour sa fille qui donnait l’impression de n’en avoir rien à cirer. Incarner les limites, madame Lemarquis avait du mal, ce qui faisait de Marylou, un enfant sans bornes, un enfant bolide. Tout en la regardant s’agiter, l’éducateur se demandait comment il allait pouvoir entrer en relation avec cette boule de nerfs qui ne lui montrait aucun signe d’une once d’une quelconque considération.
Marylou s’est calmée un instant, le temps de se cuisiner des œufs au plat qu’elle mangea quasiment avec les doigts devant la télévision puis, elle est revenue à la charge pour récupérer son jouet.
Le temps de l’accalmie, François Durand se remémora les misères qu’enfant il infligeait à son chat. À son contact, au cours des dix années passées avec François, le matou était devenu complètement psychotique. François Durand, comme Marylou avec son chien, en avait fait son jouet souffre-douleur. Entre ses mains, le félin était devenu une vraie bête sauvage. Ainsi, il tenait là un sujet de conversation qu’il se proposa d’entamer avec Marylou. Peut-être allaient-ils se comprendre ?
 Tu vois Marylou lorsque j’avais ton âge j’avais un chat et…
 Je m’en fous de ton chat !

(1) Voir le Billet de la Plume Noire du 16 novembre 2021« L’enfant bolide. »