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► LE BILLET de La plume noire • TOP of the world
François Durand, éducateur spécialisé de son état, est dépité, exaspéré, énervé, en colère. Pour l’instant, il n’en dira rien. En période d’essai sur ce nouveau poste, il ne va pas commencer à mettre son grain de sel. Il n’est pas toujours bon de venir chatouiller les certitudes souvent bien ancrées des professionnels typiques et ce d’autant plus quand on vient de débarquer quelque part.
En postulant et en acceptant ce poste dans le médico-social, au sein d’un Centre Médico Psychologique, il savait très bien que les « allants de soi » seraient bien installés. Vieux briscard de l’éducation spécialisée, il y a bien longtemps qu’il a repéré que les mots employés sur un secteur, vecteurs d’une idéologie qui s’incruste sans en avoir l’air, le sont bien souvent sans être réellement interrogés.
Il n’en attendait pas mieux du médico-social. Il se doutait bien, que sur ce secteur cousin de la santé, pleuvraient les diagnostics. Et cela n’a pas loupé. Dès que quelqu’un évoque un enfant, ce dernier est toujours porteur d’un trouble ; trouble de l’apprentissage, trouble de l’attention, trouble de la concentration, trouble du comportement ; ou sujet aux dysfonctionnements de tous bords ; dysphasique, dyspraxique, dysorthographique, dyscalculique, dys-mon-cul-sur-la-commode. Ensuite, à cela, se surajoute les bilans complémentaires, les tests. Les attitudes des enfants sont ainsi reportées sur de beaux graphiques accompagnés de majestueuses courbes multicolores censées éclairées le professionnel qui bien souvent n’en demeure pas moins dans l’incompréhension de la complexité humaine. Mais peu importe. Poser des diagnostics le rassure. Il a l’impression de comprendre. Il s’illusionne.
Mais là, c’est trop. Que la médecin cheffe pédopsychiatre caractérise un enfant comme porteur de TOP, achève François Durand, le laisse sur le cul. Il ne pensait pas que cela irait si loin. Que la médecine capitaliste, grâce au DSM, ait besoin de qualifier chaque comportement comme pathologique afin de vendre du soin, l’éducateur, même si cela le fout en rogne, peut le comprendre. Faire du blé, c’est le but (in)avoué du grand capital. Mais qu’une professionnelle de la santé et du social reprenne ce terme sans l’interroger, prouvant ainsi que par ailleurs elle l’a bien intégré, le sidère.
Pour le dire vite, « le TOP (Trouble Oppositionnel avec Provocation) est un ensemble de comportements récurrents négatifs, provocateurs et désobéissants, souvent dirigés contre des figures d’autorité. » (1)
C’est tout à fait ça déclare la pédopsychiatre. « Cet enfant est odieux avec ses parents. Il fait des crises à sa mère continuellement ».
François, effaré, écoute ces poncifs. Il faudrait qu’il lui fasse quoi à sa mère pour être un gentil petit ? La professionnelle de la santé psychique n’envisage pas une seule seconde que cet enfant ne fait pas des crises mais plutôt qu’il est en crise. Les autres professionnelles – psychomotricienne, infirmière psychiatrique, éducatrice spécialisée, enseignante spécialisée, psychologue – présentent autour de la table abondent dans le même sens. L’enfant est provocateur, désobéissant et personne n’interroge la nature de l’autorité contestée : est-elle juste ou plus simplement, pertinemment incarnée ?
Il ne leur vient pas à l’esprit qu’un enfant qui cri(s)e est un enfant qui n’est pas entendu.
Avec le DSM, la médecine capitaliste à fait de l’opposition à l’autorité une maladie et ce, sous les applaudissements du personnel médico-social du CMP. Le traitement à cette maladie cousine de révolte et de rébellion est tout trouvé. Il se nomme « Soumission ».
« Bordel à cul de pompe à merde ! On n’est pas sorti de la berge » pleure en silence l’éducateur.
(1) Selon le Manuel MSD version pour le grand public.