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► FORUM - Quand les enfants placés renflouent les caisses du département
Par R. C. Travailleur social en protection de l’enfance à Marseille
Dans son rapport de 2019, la fondation Abbé Pierre mettait déjà en lumière la tension existante pour les jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance insistant sur la fragilité et le manque d’accompagnement de ces publics. Ce même rapport relevait que 36 % des jeunes sans domiciles âgés de 18 à 25 ans étaient d’anciens enfants placés. Un chiffre au combien alarmant qui mettait en exergue le risque important de basculement vers une grande précarité pour ces jeunes à qui l’on impose une entrée précipitée dans la vie adulte. Tout cela reposant sur “une prise en charge des jeunes majeurs sélective et qui tend à diminuer” à travers l’attribution aléatoire de contrats jeunes majeurs selon les départements. Il fallait donc agir.
Simple coïncidence ou volonté d’ajuster une politique publique en totale déliquescence, Adrien Taquet est nommé le 19 janvier 2019 secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzin. Le 14 octobre 2019, il lance une stratégie nationale inédite basée sur un contrat d’engagement mutuel entre l’État et les départements avec comme objectif principal de faire des enfants protégés des enfants comme les autres en garantissant notamment un accompagnement pour les 18-21 ans par les départements et l’État. Le 20 novembre 2021, il rappelait d’ailleurs avec force sur France Inter "Je suis persuadé que ce que ces enfants souhaitent, c’est d’être des enfants comme les autres. On le leur doit" (1).
Visiblement, le département des Bouches du Rhône ne l’entend pas de cette oreille. Le 8 décembre 2022, dans un souci d’harmonisation des pratiques, la direction enfance famille des Bouches du Rhône a transmis aux structures du territoire les orientations budgétaires 2023 concernant les allocations spécifiques attribuées aux jeunes vivant en MECS. Ainsi, un jeune vivant en MECS et ayant un revenu compris entre 400 et 599 euros devra désormais payer sa vêture, son alimentation, ses loisirs ainsi que ses frais administratifs ou de régularisation pouvant s’élever à plusieurs centaines d’euros par an (le timbre fiscal pour une première demande d’un titre de séjour travailleur temporaire coute 375 euros). Il verra également l’argent de poche de 49 euros alloué jusqu’ici supprimé. Très concrètement, une première année de contrat d’apprentissage dans les métiers de bouches, la mécanique, la carrosserie, ou encore les espaces verts est rémunérée 27% du SMIC soit 462 euros. Prenons l’exemple (très fréquent) d’un jeune qui signe un contrat d’apprentissage à 17 ans. Il devra ainsi financer les différents postes de dépense énoncés avec 462 euros, tout cela en n’oubliant pas de mettre de l‘argent de côté pour anticiper une sortie du dispositif généralement brutale suite à un non renouvellement de son contrat jeune majeur. Vaste défi. À travers cette grille d’allocations spécifiques, le but annoncé “est d’accompagner ces jeunes sur l’aspect financer dans cette période de transition vers leur vie de jeune adulte autonome”. L’hypocrisie, tant dans la forme que dans le fond, est de taille. Quid du peu (de l’absence ?) de place laissée à l’accompagnement éducatif dans cette logique guidée uniquement par un impératif budgétaire ?
Inutile de rappeler que les jeunes les plus touchés par cette “grille” seront sans nul doute les mineurs non accompagnés. Contraint pour ceux pris en charge après leur 16ème anniversaire de justifier de 6 mois de formation qualifiante pour espérer une régularisation à leur majorité, bon nombre d’entre eux s’engagent dans une formation en apprentissage dans les domaines en tension et seront donc directement concernés par cette mesure. Au-delà de leur prise en charge « low cost » (2) déjà bien ancrée, il s’agit d’une nouvelle mesquinerie concernant la prise en charge des mineurs non accompagné sur le territoire.
Oui Mr Taquet, je pense que vous avez parfaitement raison, ces enfants (les enfants placés) souhaitent être des enfants comme les autres, on le leur doit. Or, je doute que les parents d’un adolescent de 17 ans qui signe un contrat d’apprentissage et gagne moins de 500 euros par mois lui réclame de leur faire un chèque mensuel pour régler le contenu présent dans l’assiette.
Combattre la précarité à la sortie des dispositifs en précarisant la période même de la prise en charge, voilà une logique singulière qui tend, je le crains, à rendre l’avenir déjà fragile de ces enfants encore plus incertain.
(2) Le prix de journée délivré pour l’accueil d’un MNA se situe autour de 75 euros soit deux à trois fois moins que pour un jeune accueilli en MECS classique.
Pour aller plus loin, Dans la rubrique "archives" : Action Sociale / thème : Protection de l’enfance