N° 1216 | Le 2 novembre 2017 | Pascal Seynave, assistant social | Espace du lecteur (accès libre)
Le mépris du pauvre n’est pas une nouveauté. Successivement et parfois simultanément étiquetée « classes dangereuses, assistés, profiteurs, parasites ou fraudeurs », la terminologie pour désigner les plus vulnérables, les laissés pour compte, les chômeurs sans espoir, mais aussi les refugiés, les étrangers est aussi importante que les écarts de richesse qui caractérisent les sociétés occidentales ou occidentalisées en général, et la France en particulier.
Il reste qu’un discours de plus en plus stigmatisant et discriminatoire a cours pour parler des personnes en situation de précarité et que les porteurs de ce discours se répandent aussi rapidement que des « fakes news » sur Facebook ou les chatons savants sur Youtube. La comparaison est à dessein. En effet, il n’est pas rare de lire sur les fameux réseaux sociaux toute une « littérature » reprenant des idées reçues sur des faits divers, des événements liés à l’immigration ou aux réfugiés et aussi sur les pauvres qui sont souvent qualifiés de parasites bénéficiant de ce que le sens commun facebookien nomme « les aides sociales ».
Passons sur les supposés richissimes bénéficiaires du RSA. Sur les matelas garnis de billets de 500 des réfugiés-immigrés-sans papiers (forcément musulmans), sur les chômeurs qui perçoivent des indemnités supérieures aux dividendes des actionnaires des entreprises du CAC 40, sur les grossesses envisagées non sur un désir d’enfant, mais dans le but de percevoir « des allocs » et sur les SDF qui ont choisis de « vivre libres » en se rémunérant sur une mendicité agressive.
Ces discours ne sont pas nés avec Internet. Ils appartiennent au patrimoine national de la bêtise et du prêt à penser servi a longueur de journées et de soirées télévisuelles. Ces discours existent parce qu’une partie de la population n’a plus besoin de penser, de réfléchir ou d’analyser, puisque quelques patrons de presse (ou patrons tout courts) relayés par des porte-voix qui s’autoproclament « présentateur-animateur-journaliste- humoriste-chroniqueur » voire « reporter » (!), déversent quotidiennement une bouillie de faits divers, de « questions de société », de vies des stars et des riches, sans compter l’omniprésence d’une publicité sans complexe et débilitante.
Le tout est vaguement digéré et régurgité tel que, le lendemain sous forme de commentaires écrits ou de vérités évidentes assenées lors de conversations privées voire professionnelles. Et rien n’est réellement fait pour contrecarrer ces discours, ni dans la sphère politique plus prompte à instrumentaliser cette rhétorique à des fins électoralistes, en flattant les plus bas instincts, et encore moins dans la sphère médiatique qui la produit en partie et s’en nourrit avidement. Lorsqu’une parole différente essaye d’émerger ou de s’imposer, elle est sur le champ taxée d’angélisme et ses porteurs sont qualifiés de « Bisounours ». Comme si cette qualification suffisait à discréditer un discours construit et réfléchi, basé sur des faits plus que sur des fantasmes – À ce propos, n’oublions pas que les Bisounours évoluent dans un état totalitaire où le parti unique au pouvoir impose un bonheur obligatoire et uniforme à toute la population ! Qui donc est le Bisounours ? Dès lors, employer le terme de Bisounours demande un minimum de réflexion… que l’on ne peut espérer, bien sûr ! – les termes de sociologues, anthropologues, intellos, penseurs ou travailleurs sociaux seraient plus appropriés, je pense.
Plus grave encore est que ces discours simplistes atteignent de plus en plus des catégories professionnelles censées être hermétiques à cette pensée rudimentaire. Je pense aux enseignants, aux salariés d’institutions sociales ou de collectivités territoriales ou même aux travailleurs sociaux.
Ce n’est sans doute pas encore une pensée unique qui s’installe, mais de ci de là, le discours sur les pauvres et sur les étrangers en particulier emprunte de plus en plus à ces propos rudimentaires.
Au risque d’être qualifié de « Bisounours » (mais je préfère « Travailleur social »), il faut donc, par tous les moyens, combattre et s’opposer à cet envahissement, à ces opinons qui n’en sont pas, à ces réflexions sans étayages et à ces idées rachitiques.
En tant que travailleurs sociaux nous pouvons par nos actions et notre éthique professionnelle participer à la restauration d’un discours plus à même de décrire les réalités de notre monde, notamment en ce qui concerne le respect que nous devons à tout être humain, qu’il soit pauvre, étranger ou bénéficiaire « des aides sociales ».