N° 1228 | Le 1er mai 2018 | Par Yazid Haddar, psychologue, spécialiste en neuropsychologie, Lille | Espace du lecteur (accès libre)
Nombreuses sont les recherches scientifiques qui s’intéressent au champ de la déficience intellectuelle, leurs centres d’intérêts étant généralement les aspects cognitifs de la déficience intellectuelle, à savoir : la mémoire, la métacognition, les stratégies cognitives, les habilités sociales, la pédagogie d’enseignement, le développement psycho-affectif, sans oublier l’aspect médical, notamment la génétique (1). Les structures, qui accompagnent les personnes avec une déficience intellectuelle, bénéficient-elles de ces évolutions ? Les « usagers » bénéficient-ils de cette masse de recherche scientifique ? Les chercheurs et les associations, les centres, les intervenants, toutes disciplines confondues, agissent-ils selon les mêmes besoins ?
Dans l’esprit de la loi de 2005, je propose quelques pistes qui me semblent importantes afin de donner une visibilité plus large sur la question. Enrichir la recherche et créer au sein des associations et des universités des ponts qui permettent que la recherche réponde à la réalité du terrain : l’exemple le plus marquant en est le vieillissement de la population avec une déficience intellectuelle. Ceci nécessite des prises en charge spécifiques, mais également des champs de recherches novateurs, comme l’adaptation des nouveaux tests neuropsychologiques pour les personnes avec une déficience intellectuelle (2).
Le premier axe de recherche, qui est le plus répandu, est l’axe médico-psycho-pédagogique : il regroupe les causes biologiques, en particulier la génétique, la clinique, l’imagerie, etc. Autrement dit, chercher les causes de la déficience, son évolution, etc., à ce niveau beaucoup de recherches sont disponibles dans les champs scientifiques. Les aspects cognitifs (les déficiences cognitives et les méthodes à développer pour pallier celles-ci :
remédiations cognitives, différentes thérapies, pédagogies adaptées).
Approches diverses
Enfin, l’aspect adaptatif (adaptation sociale, implication de l’environnement pour favoriser l’apprentissage) : ces aspects peuvent englober l’organisation, la couleur, l’aménagement de la classe, l’organisation du groupe éducatif, etc. Les autistes et les troubles envahissants du développement (TED), en général, ont bénéficié de ces évolutions. Les approches thérapeutiques scientifiques apportent, de plus en plus, des résultats perceptibles et elles font émerger de nouveaux besoins, de nouvelles réadaptations et des nouvelles techniques d’intervention (thérapies comportementales et cognitives – TCC –, remédiation, etc.). Les autres types de déficits cognitifs devraient bénéficier de celles-ci. Cependant, il ne s’agit pas d’une généralisation de pratique, mais de l’inscrire dans le cadre de chaque projet individualisé. Respecter les rythmes et l’environnement de chacun, ceci ne pourra pas se faire sans l’appui d’une recherche scientifique appliquée (dans les milieux naturels du jeune et non pas dans les conditions de laboratoire).
Le second axe de recherche représente la coordination des professionnels pluridisciplinaires. La coordination pourra améliorer la collaboration entre différents intervenants, réduire l’incompréhension et articuler le projet individualisé selon les nécessités et les possibilités de réalisation de celui-ci. Cette collaboration peut toucher plusieurs secteurs : de la justice, de l’éducation nationale, des services sociaux, des hôpitaux, etc. Des recherches sur cet axe pourraient améliorer l’accompagnement des jeunes, qui sont en décrochage scolaire : comment les repérer ? Comment pallier les déficits, en s’imprégnant de nouvelles évolutions ? À quel moment les familles d’accueil peuvent-elles demander de l’aide à des spécialistes ? Aurait-il fallu former des familles d’accueil à l’accompagnement des jeunes dans des situations de handicap ? La pratique d’accompagnement doit intégrer l’évolution de la société, et surtout l’aspect théorique. La recherche ne devrait pas s’arrêter uniquement aux statistiques et aux questionnaires, qui ne sont pas toujours adaptés à la réalité. Associer un chercheur dans ces démarches est plus que nécessaire pour améliorer l’accompagnement.
Enfin, l’axe managérial ou de gestion. Certes il existe des textes de loi qui réglementent et précisent l’organisation des établissements (annexes xxiv), néanmoins, on peut s’interroger sur l’évolution de ces lois. Peut-on gérer ces centres comme on gère des entreprises ? Y a-t-il des implications entre la gestion et l’accompagnement en situation de handicap ? La recherche pourra nous éclaircir sur ces questions.
Nous restons convaincus qu’avec l’acquisition de compétences scientifiques, sous forme de centres de ressources, les associations qui accompagnent les personnes avec une déficience intellectuelle pourront réduire l’écart qui les sépare et dialoguer de façon plus équilibrée. Ils permettent d’une part la mise en valeur de savoirs différents dont les intervenants sont détenteurs par expérience, et d’autre part ils permettent à certaines associations de se situer dans des relations formellement plus proches d’un partenariat.
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(1) -cf. rapport de l’Inserm : Martine Bungener & all. (2014),
Association de malades, Regards de chercheur, CNRS Édition.
(2) -Y. Haddar et M-C. Haelewyck, Le vieillissement cognitif
chez des personnes avec une déficience intellectuelle légère,
Revue francophone de la déficience intellectuelle n° 25 (2014).