N° 1228 | Le 1er mai 2018 | Par Cilia Maron, éducatrice spécialisée | Espace du lecteur (accès libre)
Aujourd’hui, sur nos chaises d’étudiant·es, nous voilà à suivre un cours sur « l’identité de l’éducateur spécialisé ». L’identité, ce « quelque chose qui nous est essentiel pour vivre » (1). Celle qu’il nous faudra défendre dans nos écrits, lors du passage du diplôme. Les premiers mots me crispent l’oreille. Le terme de « racine identitaire » du métier m’écorche l’éthique, vague écho à de valeurs plus sombres et bien réelles. En sortant de cours un peu perplexe, se fredonne dans ma tête « l’identité, l’iditenté l’idétitan, l’y tant d’idées, à la ronde ! » (2). Rondes et denses, contenantes et sécurisantes, les idées. Séductrices à qui se trouve le besoin de se trouver une ronde. Car elle, et peut-être d’autres, « elle voudrait, elle aussi, danser dans une ronde » (3). Trouver ce groupe social, en apprendre les codes et en suivre les buts communs. Uni·es par ce « Caractère de deux ou plusieurs êtres identiques » (4). Et la sensation que main dans la main, le cercle ferme, coupe de ce(ux) qui ne rentre(nt) pas dans cette ronde. En dehors de cet entre soi, un hors soi se crée, basé sur ces différences de ce(ux) qui ne danse(nt) pas. Comme si « l’altérité [qui] naît en quelque sorte d’une suffisante similitude, axe discret sur lequel se rencontrent l’image de l’autre et l’image de soi » (5) devenait soudainement radicale. Situant l’autre trop fortement dans le non-moi pour le reconnaître comme participant à l’humanité, notre humanité. Moi à qui l’on a fait lire que l’éducateur se devait de faire le pari inconditionnel que chaque personne « porte en lui, virtuellement, l’humanité toute entière en puissance et peut s’approprier tout ce qu’elle a élaboré pour se comprendre et comprendre le monde » (6). Me voilà bien hésitante face à cette identité qui enlève un bout rond d’humain aux autres. Je me demande bien quel intérêt d’encore renforcer une relation déjà dissymétrique d’accompagnant·e – accompagné·e. De mettre l’autre, déjà souvent en situation de relative exclusion, en dehors de ma ronde, quand je pourrais être une de ses passerelles vers le social. Ne serait-ce qu’une histoire de mots ? De mots qui organisent notre pensée. Nos signifiants organisant nos signifiés. Et nos signifiés en action, en denses rondes fermés ?
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(1) -Discours de Nicolas Sarkozy sur l’identité française,
Réseau Voltaire, 12 novembre 2009
(2) Tête Raides, L’identité, Gratte-Poil, 2000
(3) Kundera, Le livre du rire et de l’oubli, Gallimard, Paris, 1978, p.110
(4) -Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, « identité », Lexicographie, www.cnrtl.fr
(5) -Fustier, Travail d’équipe en institution spécialisée,
éd. Dunod, Paris, 2015, p.87
(6) Meirieu P., Le choix d’éduquer, ESF, Paris, 1999, p.29