N° 1236 | Le 2 octobre 2018 | par Jean-François Prost, cadre socio-éducatif retraité | Espace du lecteur (accès libre)
Marie-Thérèse aime boire son petit verre de vin à chaque repas. Anne-Marie était pianiste. André a un rapport étroit avec les voitures noires. Christian est amoureux des femmes mûres et Jacqueline de son premier amour qu’elle a connu à près de soixante ans. Jean-Claude est bisexuel. Andras était militaire en Hongrie. Brigitte passe la plupart de son temps au téléphone… Qu’ont-elles donc en commun, toutes ces personnes ? Pas grand-chose à priori. Mais toutes se sont retrouvées au sein d’un établissement spécialisé. Pourquoi « spécialisé » ? Parce que chacune d’entre elles a été soigneusement étalonnée et homologuée par des services habilités à leur décerner leur brevet de trisomie, déficience intellectuelle, psychose, schizophrénie ou autres.
La société les a donc « pris en charge ». Rien que dans cette expression, on sent déjà la lourdeur qui va freiner la relation d’aide. Je me suis battu pendant de nombreuses années pour essayer d’influer une autre façon d’établir du lien entre les accompagnants et les accompagnés. Quel joli verbe, « accompagner » ! Il signifie littéralement « partager le pain ». Je suis conscient que la fonction exercée par les agents hospitaliers n’est pas de tout repos. Même si l’on n’aime pas le pain… Mais là n’est pas mon propos.
Le travail d’accompagnement n’est pas qu’un métier. Il faut, pour l’exercer, un supplément d’âme. On peut nommer ce supplément « l’empathie ». Encore faut-il savoir ce que ce mot veut dire… Objets de soins et non plus sujets d’écoute, trop de résidents souffrent dans ces établissements. Cadre socio-éducatif aujourd’hui à la retraite, j’écris en ce moment un spectacle qui mettra en scène la vie quotidienne en EHPAD. Quelques extraits (véridiques)… : « Elle est « haute » en ce moment. Je pense que le psychiatre devrait la voir »… « C’est une comédienne et une capricieuse. Il vaut mieux ne pas l’écouter »… « On n’est pas là pour se faire insulter »… « Ils se plaignent ? On devrait les envoyer en Syrie… Ils verraient bien !… » C’est dire que tout ressentiment, colère, manifestation d’un mal-être chez les personnes accueillies ne sont en rien reconnus. Ou considérés comme déviants et sujets à traitements médicaux.
Projets d’établissements, protocoles de soins, charte de la bientraitance et autre management d’équipe apportent l’illusion de faire, de bien faire, en complexifiant au possible ce qui n’est somme toute qu’une simple évidence : créer du lien humain entre l’aidant et la personne vulnérable.