N° 1236 | Le 2 octobre 2018 | par Mélanie Calvez, éducatrice spécialisée | Espace du lecteur (accès libre)
Éducatrice spécialisée dans un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), j’accompagne Soufiane. Il est congolais. Il a connu un parcours chaotique : une arrivée en France compliquée, des passages à la rue, des épisodes psychotiques, des hospitalisations. Un diagnostic de schizophrénie a été posé. Soufiane est suivi par ma structure depuis plusieurs années, au début sans papiers, à la limite de l’expulsion, aujourd’hui en règle. Soufiane vivait dans un hôtel social grâce à l’association M. Il y faisait ses injections, voyait sa psychiatre et son assistante sociale, faisait régulièrement des petits contrats d’intérim. Depuis quelques mois Soufiane était stabilisé, consommait moins de cannabis et d’alcool ; il était souriant, avait des envies, des projets, parfois un peu irréalistes oui, mais qui le laissaient rêveur. Soufiane voulait s’installer avec sa copine, reprendre une formation, passer le permis de conduire… « être comme tout le monde quoi ». Et puis…
Soufiane dérangeait certains professionnels de l’équipe de M, peut-être à cause de son côté désinvolte. Il est un peu déconnecté, un peu lent, un peu « provoc » de temps en temps. Mais il dérangeait surtout, d’après les dires, parce qu’il ne respectait pas toujours le règlement de l’hôtel social où il logeait : il lui est arrivé de ramener des amis dormir dans sa chambre, de jeter des meubles suite à une invasion de punaises de lit, et de les remplacer par d’autres, de ne pas vraiment prendre soin de sa chambre. Oui c’est vrai, il a fait ça. Mais rappelons-le, Soufiane est schizophrène. De ce fait, il possède un nombre de difficultés important, une vulnérabilité à ne pas minimiser.
Soufiane commence donc tout juste à se réinsérer. Je suis en train de chercher avec lui une nouvelle situation de logement. C’est tendu avec l’association M, on prend donc les devants. On vient de faire des demandes de foyers de jeunes travailleurs, et une demande de logement social. On cherche un endroit plus adapté, où Soufiane pourrait mieux s’approprier son lieu de vie, où il pourrait enfin commencer à se dire ça y est, je suis enfin « un peu comme tout le monde ».
Quelques convocations à M suivent : Soufiane est rappelé à l’ordre à plusieurs reprises, on lui rappelle le règlement, on lui rappelle que c’est donnant-donnant ici, on le menace. J’explique nos démarches en cours, je tente d’apaiser la situation. Le mois de mars arrive. On nous explique que ce n’est plus possible, que Soufiane ne respecte pas le règlement, que le responsable de l’hôtel social ne veut plus de lui. On leur demande d’essayer de négocier, de proposer d’autres solutions en attendant. Cela semble impossible. Soufiane a moins de trois semaines pour quitter sa chambre. On sera alors le 31 mars, fin de la trêve hivernale. On cherche des recours, on écrit, on essaie de raisonner le chef de service de l’association, qui refuse de nous aider. Il propose uniquement à Soufiane d’aller dans un autre hôtel social de son plein gré. Sachant très bien que tout est complet. On est à Paris. On ne trouve pas un logement en trois semaines. Soufiane a peu de revenu juste son allocation adulte handicapé et un peu d’argent de son intérim.
Soufiane est à la rue depuis maintenant cinq mois. Quelques jours en auberge de jeunesse, quelques jours dans un foyer grâce au SIAO d’urgence, mais rien de continu, pas de solution trouvée, en attente du SIAO insertion. Soufiane est incapable d’appeler le 115 tous les matins, ne comprend pas bien le fonctionnement de toute cette machine administrative. Soufiane nous échappe, ne répond plus au téléphone, on ne sait pas où il est, il nous en dit peu lorsqu’il passe nous voir, amaigri, sans emploi, parfois défoncé. Il a perdu sa copine, perdu sa carte bleue, perdu son sourire et ses rêves de devenir un jour « comme tout le monde ».
« L’association M repose sur des valeurs d’humanisme, d’égalité, de justice, de non-discrimination et de respect et de dignité des personnes, quelles que soient leur identité, leur culture, leurs croyances, leur histoire et leur situation présente, notamment lorsque ces personnes sont très vulnérables. Ces valeurs, qui constituent la raison d’être de l’association, sont pleinement partagées par l’ensemble de ses acteurs. »