N° 1262 | Le 26 novembre 2019 | Jean-Yves Le Capitaine, formateur, ancien cadre en établissement social et médico-social | Espace du lecteur (accès libre)
La rentrée scolaire 2019 a été présentée, par le Ministère de l’Éducation nationale et le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, comme radicalement nouvelle, voire révolutionnaire, dans la scolarisation des enfants en situation handicap, en particulier au regard de ce qui avait été fait auparavant pour l’école inclusive. Une communication tous azimuts installait cette idée que septembre 2019 allait tout changer. Depuis lors, le discours officiel affirme avec insistance que tout va bien, et que le grand service public de l’école inclusive est en route si ce n’est en place, moyennant quelques ajustements ponctuels sur des situations insatisfaisantes issues de la mauvaise compréhension des orientations gouvernementales par le terrain.
La réalité semble pourtant loin de ce discours lénifiant. À quelques mois d’une rentrée qui se voulait exemplaire, on reste quelque peu dubitatif. On relève un véritable hiatus dans ce que relatent la presse et surtout les réseaux sociaux. D’un côté, on a une communication gouvernementale qui se satisfait très massivement des bonnes conditions de rentrée des enfants en situation de handicap, en s’auto-félicitant des innovations mises en place : pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL), nouvelles modalités de fonctionnement des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), développement des dispositifs, etc. De l’autre côté, des enfants sans place ni à l’école, ni dans aucun dispositif d’accompagnement ou scolarisés au compte-goutte, des parents en galère, des AESH complètement insatisfaits de leurs conditions de service, des enseignants qui ne savent plus comment faire, etc.
Vit-on les mêmes réalités, vit-on dans le même pays ? Dans mon département, la Loire-Atlantique, quelques centaines d’enfants handicapés, ayant eu une orientation de la Maison départementale de personnes handicapées (MDPH) vers des établissements ou des services spécialisés (institut médico-éducatif (IME) ou service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) restent à la porte et en attente d’accompagnement et de place. En attendant, ils sont à l’école quand ils le peuvent, sans aucun soutien ou restent à la maison à la garde de leurs parents. Un grand nombre d’enfants ne sont présents à l’école que deux heures par jour, avec ou sans présence d’un AESH, avec le parent qui attend dehors dans sa voiture pour le cas où il y aurait crise. Ils sont alors comptabilisés comme inclus ! Des enfants sortant d’unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) élémentaire, et devant entrer dans une ULIS collège, ne le peuvent pas faute de création d’ULIS collège.
Sur le plan national, la presse et les réseaux sociaux se font l’écho de ces nombreux dysfonctionnements et de bien d’autres, qui ne sont pas que ponctuels, mais véritablement structurels, tant par leur nombre que par leur nature témoignant d’un sous-investissement dans ce domaine.
Non, la situation des élèves en situation de handicap n’est pas réglée, et la transition vers l’école inclusive se passe mal et rencontre des obstacles majeurs. Les quelques situations où des enseignants manifestent des refus injustifiés d’accueil des enfants en situation de handicap ne peuvent pas servir d’alibi aux effets désastreux d’une politique qui restreint des moyens pour les services spécialisés sans pour autant transférer l’équivalent de ces moyens dans une véritable politique inclusive. L’école inclusive reste un principe politique et éthique juste, ayant l’ambition de faire participer et partager la vie scolaire, des apprentissages à la vie sociale, à tous pour produire du « commun », de reconnaitre à tous les enfants les mêmes droits tout en reconnaissant des différences et des singularités. Mais cette école devient injuste dès lors que l’absence ou l’insuffisance de moyens condamnent les élèves à ne pas pouvoir y avoir une place satisfaisante pour exercer leurs rôles d’enfant et d’élève.
Il ne faut pas pour autant croire que les acteurs (associations, parents, professionnels) qui déplorent aujourd’hui ces listes d’attente en établissements ou services spécialisés, et en conséquence revendiquent l’augmentation du nombre de places spécialisées, se positionnent comme de fervents défenseurs d’anciens modèles de « prise en charge ». Mais ils peuvent considérer qu’en l’état actuel des choses, l’école ne met pas en place convenablement les moyens d’accueillir ces élèves : manque d’Unités d’enseignement externalisées et difficulté à les mettre en place de manière satisfaisante ; classes surchargées qui font obstacle à la présence d’enfants en situation de handicap ; formations au rabais (voire absence de formation) qui servent de prétexte à ne pas accueillir ou à ne rien faire avec un élève en situation de handicap ; conditions de travail dégradées pour de nombreux AESH (même si leur statut a été quelque peu amélioré) ; demandes de parents ignorées (malgré le numéro de téléphone miracle de réception de dysfonctionnement de la scolarisation), etc…
On peut comprendre que dans ces conditions de risque pour leur enfant, de nombreuses familles se méfient de l’inclusion, et choisissent, malgré elles et en contradiction avec leurs convictions et leurs souhaits, des orientations vers des dispositifs médico-sociaux, qui sont parfois aujourd’hui les seuls garants d’une scolarisation satisfaisante. L’inclusion par défaut, lorsque l’enfant est mis dans une classe, parce qu’il n’y a pas de place dans l’établissement spécialisé, est une situation de maltraitance d’enfant laissé sans éducation : dans ces conditions, l’école est véritablement maltraitante. Et pourtant, il y a une certaine honte à signaler que des jeunes attendent aux portes des établissements spécialisés et à réclamer des créations de places, tant le modèle inclusif constitue aujourd’hui le seul paradigme pensable. Pas seulement par un effet de mode, mais parce que les représentations ont évolué et que se sont affirmés de manière claire les droits des personnes handicapées à participer aux différents aspects de la vie de tous. Mais ce paradigme, éthiquement le plus juste et le plus adéquat, ne répond malheureusement pas à des conditions minimales satisfaisantes d’accueil et de scolarisation des élèves en situation de handicap. L’école est loin d’être inclusive, et faute d’un minimum vital de scolarisation satisfaisante, ce sont les institutions spécialisées qui constituent, comme par défaut et comme auparavant, des solutions transitoires pour certains élèves, en attendant des conditions meilleures dans l’organisation de l’école. Se satisfaire à bon compte de la situation actuelle, c’est aussi s’aveugler sur des réponses et des changements nécessaires à une école véritablement inclusive.
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