N° 1264 | Le 7 janvier 2020 | Par Isabelle Lebas, conseillère conjugale et familiale, Justine Georget, éducatrice spécialisée, Florence Bocquet, conseillère conjugale et familiale | Échos du terrain (accès libre)
Depuis 2018, le Samu social de l’Oise a renforcé sa mission d’accueil, d’écoute, d’accompagnement et d’orientation des femmes victimes de toute forme de violence, avec ou sans leur (s) enfant (s), en embauchant des professionnelles formées à ces problématiques.
Maelys, 25 ans, se présente pour la deuxième fois dans la structure. Elle a vécu en couple une année avec un jeune homme de 21 ans et l’a quitté à plusieurs reprises, suite à des violences psychologiques, verbales, économiques et physiques. Elle ne comprend pas pourquoi elle reprend chaque fois la vie commune. Tout comme sa famille à qui elle n’ose plus parler. Elle vient à nouveau de le quitter. Le dépôt de cette troisième plainte a été particulièrement éprouvant, elle s’est sentie jugée quand on lui a dit : « Si vous repartez vivre avec lui, vous êtes responsable ». Elle pense avoir eu un déclic, quand elle a vu la haine dans les yeux de son concubin : elle a vraiment cru qu’il allait la tuer. Depuis, il ne cesse de la harceler de messages lui promettant de changer, l’assurant qu’il prend un traitement pour se calmer. Elle ne le comprend pas : il lui dit qu’il l’aime et, en même temps, il la frappe. Au deuxième entretien, elle annonce sa décision de quitter la ville où ils ont vécu. Elle sent qu’elle doit s’éloigner. Seule une mise à distance la protègera de son amour pour lui. Elle vient dans ce lieu d’accueil pour bénéficier d’une écoute, se reconstruire et ne plus subir.
Comme pour Maelys, les professionnelles accueillent les femmes là où elles se situent dans le cycle des violences. La moitié d’entre elles n’ayant pas conscience de ce qu’elles vivent, il est important de les aider à repérer ces comportements abusifs. Elles refoulent ce qui les fait souffrir pour se protéger de leur réalité insoutenable. C’est le climat de confiance qui se tisse entre elles et l’équipe qui va leur permettre de progresser dans leur réflexion et de comprendre comment elles se situent face à leur agresseur, au danger et à la séparation tant redoutée, décision douloureuse qui nécessite du temps. Les victimes ont été maintenues par leur conjoint dans un état de soumission. Elles ont été objectalisées. Elles sont désappropriées de leur parole.
L’accompagnement consiste alors à faciliter une parole singulière leur permettant de se resituer en tant que sujet pensant, condition pour retrouver l’estime de soi et faire le deuil de la famille idéale, du compagnon pour qui elles éprouvent des sentiments mêlés d’amour et de haine. Lors des premiers entretiens, une évaluation psychosociale de la situation et des violences subies est menée. Cette étape permet de poser des mots et d’exprimer les émotions. Les victimes parlent d’anxiété, de dépression mais elles ne sont pas toujours conscientes d’avoir été manipulées. Pour les aider à ne pas rester en surface, une écoute fondée sur une éthique analytique leur est proposée, permettant la création d’espaces de réflexion. Nombre de ces femmes présentent un syndrome post-traumatique avec pensées récurrentes et même parfois des états de confusion, une fatigue extrême générant des carences éducatives, des idées suicidaires avec de possibles passages à l’acte.
Ces temps d’accueil et de soutien psychologique aideront les femmes dans le parcours thérapeutique que nous leur conseillons d’entreprendre. Pour autant, l’emprise peut perdurer même après plusieurs mois de séparation. Honorine, 30 ans, a revu son ex-compagnon. Il lui dit souffrir de la séparation et lui demande de reprendre la vie commune. Elle est attristée, en plein doute car elle l’aime encore malgré les violences qu’elle a subies. Anna, 40 ans, peu volubile, marquée par vingt ans de violences conjugales, explique que son ex-mari l’a aussi relancée. Elles parlent alors de leurs peurs, de leurs doutes : « Ils veulent changer, mais le peuvent-ils ? » Une parabole permet d’expliciter cette confusion : un scorpion demande à une grenouille de traverser la rivière sur son dos. « J’ai changé, dit-il. Je ne te piquerai pas. » La grenouille le croit, elle le porte. En plein milieu, il la pique. « Mais, on va mourir tous les deux ! », dit-elle. Il lui répond : « C’est ma structure, c’est malgré moi ». Ces femmes ont un long chemin à mener. S’étant totalement oubliées, elles doivent se reconstruire en tenant compte de leur désir, en réapprenant à s’estimer et à se respecter. Elles doivent revisiter leur lien à l’autre, ne plus chercher à se réassurer à travers l’autre mais en elles. N’ayant, pour beaucoup, pas été respectées par l’un de leurs parents, elles acceptent l’inacceptable, recherchent inconsciemment des hommes entretenant le même type de relation et fuient les hommes « respectueux », qualifiés de faibles.
Changer ses représentations demande du temps. Ce n’est donc pas juste une écoute dans l’urgence que nous leur proposons mais un accompagnement dans la durée. Ces femmes sont non seulement victimes de violences conjugales, mais aussi disqualifiées par leur conjoint dans leur rôle de mère ou elles assurent seules l’éducation des enfants. Elles ont besoin d’être soutenues. Des groupes de parole de mères leur permettent de réfléchir sur leur manière d’être parent, en lien avec leur propre histoire. Une autre aide est apportée aux enfants par une écoute spécifique, en tant que victimes de maltraitance. Ainsi, quelques jours après avoir été reçue une première fois, Rabia revient avec ses enfants. L’aîné, âgé de 4 ans, demande à la professionnelle de lui crayonner un bonhomme « méchant ». Questionné, l’enfant porte ses mains à son cou en simulant la scène d’étranglement subie par sa mère en disant : « Papa a fait mal à maman ». Cette nuit-là, les bruits l’ont réveillé. Il est allé dans la chambre de sa mère et a assisté à la scène, faisant fuir monsieur. Réalisant la vision cauchemardesque qu’a eu son fils, Madame s’est mise à pleurer. Nous l’avons rassurée lui expliquant l’importance pour son fils d’exprimer ce qu’il a vu. Nous avons rappelé qu’il était interdit de faire du mal et que sa maman avait prévenu la police. Tous deux vont pouvoir bénéficier d’un suivi psychologique. L’écoute proposée aux enfants est un moyen de lever les malentendus, de donner du sens et de relancer la dynamique du désir. Il convient de restituer à l’enfant l’authenticité de son histoire, la vérité de ce qu’il a vu ou éprouvé dans son corps. Ce n’est qu’à partir de là qu’il peut se construire et organiser sa pensée. L’essentiel de notre travail est de créer, à travers des entretiens individualisés ou de groupes de parole, un cadre sécurisant permettant la libre circulation de la parole et la mise en mots des difficultés, afin d’aider les femmes à se reconstruire et les enfants à poursuivre leur évolution sans que les traumatismes vécus s’enkystent. Ces actions permettent de faciliter l’expression des violences vues, entendues ; des émotions douloureuses encore enfouies et ainsi apaiser les angoisses et traumas.
Les combats que ces femmes ont à mener pour se reconstruire (judiciaire, administratif, professionnel, insertion sociale, éducation de leurs enfants…) ne peut se faire qu’avec l’aide d’un réseau respectueux et performant, notamment les associations de soutien aux femmes, la gendarmerie, la police nationale, les services sociaux, les hôpitaux, les partenaires financiers…