N° 1268 | Le 3 mars 2020 | Par Christine Maurey, assistante de service social en milieu médico-social | Espace du lecteur (accès libre)
Le dossier du n° 1266 consacré aux contrats jeunes majeurs (CJM) a fait écho à cette discussion lors d’une réunion, à l’automne 2019, avec des collègues assistantes médicosociales en institut médico-éducatif (IME). J’étais ressortie de ce moment horrifiée et démunie… et avec une furieuse envie de dénoncer ce que je venais d’entendre. Elles décrivaient leur réalité de travail du vendredi. L’une disait qu’elle n’arrivait pas à s’endormir le jeudi soir, par peur d’affronter la journée du lendemain. Certes, le nombre de CJM est réduit selon les départements, les politiques engagées, etc. Mais certains jeunes concernés par ces dispositifs doublent la difficulté, car ils sont aussi déficients et vivent la semaine dans l’internat de leur IME. Pour ceux-là, fini les week-ends chez l’assistante familiale qui les accueillait depuis des années et ce du jour au lendemain de leur 18 ans. Et hop-là ! Dehors avec des fins de semaine sans solution ! Un véritable scandale et une honte pour cette société qui prétend protéger les personnes vulnérables qu’ils soient simplement jeunes, déficients ou les deux à la fois. La collègue me disait qu’à partir du vendredi midi, moment où la plupart des jeunes repartent dans leur famille, elle avait toujours à sa porte les quelques-uns sans solution d’hébergement. Ils lui demandaient comment faire, où aller, comment se mettre à l’abri du froid, de la faim et des prédateurs en tout genre, prêts à tomber sur un jeune handicapé, vulnérable, seul et malheureux.
Comment peut-on, comment oser mettre à la rue un jeune déficient qui évolue en milieu protégé toute la semaine, au prétexte qu’il a 18 ans ? Qui sont ces bourreaux en col blanc décidant du haut de leur administration qu’il n’a plus besoin de l’Aide sociale à l’enfance ? Les collègues me disaient que ces jeunes n’avaient qu’une hâte : que le lundi soit là, pour retrouver un toit et de quoi manger. Alors pour elles, c’était la débrouille, la bidouille, chaque semaine avec parfois des solutions plus que limite et aussi parfois du chantage à l’affectif pour que l’ancienne assistante familiale reprenne le jeune chez elle le temps du week-end, non payée bien sûr.
J’ai interpellé, un peu après cette réunion, lors d’une grande assemblée sur le schéma départemental de l’enfance, un élu qui m’a bien entendu jetée en me disant que c’était extrêmement rare et que ce n’est pas vrai que le nombre de CMJ avait diminué… Quand bien même, cela ne concernerait qu’un seul jeune de 18 ans, fragile et livré comme une proie à la rue, c’est inacceptable ! J’ai pris des nouvelles après et on m’a dit qu’il avait fallu, je crois, l’intervention et l’opiniâtreté d’un certain nombre de directeurs d’IME pour que les choses bougent un peu et que des nuits en Foyer soient dégagées. Mais encore, ce jour où je vous écris, je n’en suis pas bien sûre. Est-ce que tout a été fait ? Ma lâcheté me fait dire : heureusement que tu travailles avec de jeunes enfants. Mon indignation restée intacte me fait au contraire prendre la souris pour vous faire partager cela…