N° 1007 | Le 24 février 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

A qui appartiennent nos enfants ?

Martine Segalen


éd. Tallandier, 2010 (207 p. ; 15 €) | Commander ce livre

Thème : Enfance

L’enfant est le miroir de la société. Tout au long de l’histoire, la question de savoir à qui il appartient a reflété les conceptions et modes de vie des adultes. Il a d’abord été la propriété de la famille, conséquence naturelle du mariage, institution structurée autour du devoir de fécondité. La parentèle avait alors une forte emprise sur le nouveau-né qui prenait, selon son sexe, un prénom de la lignée masculine ou féminine. À dix ans, il était associé à toutes les activités sociales. Les parents disposaient de lui selon leur intérêt et sans que l’affectif ne vienne bousculer la circulation enfantine : ils pouvaient le confier à des maîtres, le placer comme petits valets, le céder à un membre de la famille sans enfant, l’abandonner quand il menaçait l’équilibre économique ou au contraire, dans les familles ouvrières, l’envoyer à la fabrique, comme source de revenus.

C’est quand le taux de fécondité a commencé à baisser, que la société s’est préoccupée le plus de sa santé et de son éducation. L’enfant est devenu propriété de la nation. L’État s’est alors mobilisé pour faire reculer sa mortalité, pour surveiller son placement en nourrice, pour normaliser son corps, pour l’instruire et veiller à sa socialisation. C’est l’époque des vastes campagnes de soutien à la natalité, l’attente étant bien en retour de le voir aller s’immoler sur les champs de bataille.

Puis, est venu l’enfant propriété du couple. La psychanalyse et la contraception en ont fait un être d’autant plus désiré et attendu, qu’il a commencé à se faire rare. Il n’est plus apparu alors comme le produit d’un échec ou d’une acceptation passive, mais comme le fondateur du couple, celui qui vient le combler en lui apportant les gratifications affectives. Lourde tâche reposant sur ses épaules que d’avoir à remplir cette mission. Mais bientôt, il lui fallut s’y retrouver, face à la multitude des compositions familiales. Sexualité, procréation, filiation biologique, affiliation sociale se sont savamment détricotés et retricotés, à travers les mariages et divorces démultipliant les familles monoparentales, homoparentales, recomposées où se bousculent parents, beaux-parents, grands-parents, au point de ne plus vraiment réussir à identifier les liens privilégiés.

Et puis, il y a eu l’émergence de l’enfant sujet, à l’image d’une société pédocentrée, entièrement tournée vers la protection et le droit des enfants. Le parent autoritaire d’autrefois a disparu, au profit du coach et de l’accompagnateur. La culture horizontale du groupe de pairs a suppléé la culture verticale héritée des générations précédente. L’enfant s’est construit son propre monde auto engendré. Face à une société qui multiplie les revendications du droit à l’enfant, celui-ci est entré dans la multipropriété.


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