N° 988 | Le 7 octobre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un petit livre court mais dense consacré à une classe d’âge, trop souvent désignée par notre société non comme une chance d’avenir, mais surtout comme un risque de troubles et une menace de violation des règles sociales et des normes. Au-delà de quelques passages de prose lacanienne difficilement compréhensibles, la description faite ici est pertinente et d’une grande justesse.
Bernard Gaillard a choisi délibérément de se centrer sur des adultes inquiets de ne pouvoir maîtriser les générations qui grandissent. Il s’interroge notamment sur leurs difficultés à saisir le fonctionnement psychique d’adolescents qui savent si bien les déranger à l’endroit où ils les attendent le moins. Il est vrai que la crise de croissance qui marque cette période de la vie contraint à des réorganisations psychiques et sociales spectaculaires. L’adolescent cherche des appuis et des alliances susceptibles de soutenir sa position encore instable, hésitante ou provisoire, mais annonciatrice de son nouveau statut. Et, c’est là tout le problème.
Car, si pendant longtemps des rites d’initiation permirent d’accompagner le passage de l’enfance à l’âge adulte, leur disparition laisse les jeunes devant l’angoisse d’une mutation qu’ils affrontent trop souvent dans la solitude. La quête de réconfort, de sécurité et de certitudes se heurte parfois à un manque de supports adultes à la fois identificatoires et opportuns. Ils les trouvent auprès de leur groupe de pairs, seul recours pour obtenir la réassurance tant cherchée. L’auteur rappelle la clinique exigeante qu’implique la relation aux adolescents en difficulté, en l’illustrant par les mécanismes de la délinquance et de la fugue. L’agir impulsif constituant l’un des modes d’expression privilégié de la gestion des conflits à cet âge, il est difficile de distinguer dans la transgression de la loi ce qui relève du pathologique dans le rapport à l’autre et ce qui est l’expression d’une recherche de réponses affectives, identitaires et protectrices. La structure psychique de l’adolescent n’est ni fixée, ni figée : il est dans le provisoire, l’éphémère et l’incertain.
D’où l’importance de ne pas le stigmatiser. Quant à la fugue qui met en scène la rupture ou la mise à distance d’avec le milieu habituel, elle est très dépensière d’énergie psychique, nécessitant des poussées émotionnelles alternant excitations pulsionnelles, plaisir, calme, rêveries, peurs, défenses. Elle peut, elle aussi, tout autant exprimer ce qui peut être difficilement élaboré, que permettre de réorganiser l’angoisse de la séparation. L’adolescence est donc bien cet âge où s’exprime l’exacerbation de l’antagonisme entre la nécessité impérative de relation et la nécessité tout aussi impérieuse d’autonomie.
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