N° 742 | Le 24 février 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Autonomie et handicap moteur

Arlette Loher-Goupil


éd. Chronique Sociale, 2004, (148 p. ; 16 €) | Commander ce livre

Thème : Physique

La notion d’autonomie est devenue centrale dans la démarche éducative, au point que tout le monde en parle sans savoir toujours ce qu’elle peut recouvrir. La première définition qui vient à l’esprit concerne la capacité à pourvoir à ses besoins, sans dépendre de quiconque. Et, effectivement, « l’individualisme de notre société fait percevoir le fait d’être dépendant des autres comme une régression vers un état de faiblesse et d’anxiété que l’individu a intériorisé de façon négative » (p.39). Pourtant, l’on sent bien que l’autonomie est à la fois quelque chose de concret et de beaucoup plus subtil, qui se quantifie tout en ayant trait à la qualité de la vie. Plus que d’un état, il faudrait plutôt parler d’un processus d’autonomisation qui ne prend jamais fin dans une négociation permanente avec l’autre, pour rendre la marge de manœuvre la plus grande possible entre la place de l’individu et l’ensemble des interdépendances qui le relie à son entourage.

La personne porteuse de handicap est tout autant confrontée à cette nécessité de trouver le juste équilibre entre elle et les autres. Mais là où sa démarche se complique, c’est que sa situation la confronte à plusieurs paradoxes. Ses difficultés incitent à la protéger (au risque de l’infantiliser et de la stigmatiser), sans qu’elle soit privée de la liberté individuelle du choix de son parcours de vie (avec toutes les limites et les risques qui s’imposent à elle). Elle est prise en charge par un modèle médical qui lui propose des soins (mais qui, en se focalisant sur ses incapacités peut parfois l’y enfermer) et un modèle social qui met en accusation une société trop souvent handicapante (mais qui peut l’inciter à croire que tout lui est dû). Elle peut alors être tentée d’exiger la normalisation de son existence, mais peut difficilement lâcher la revendication d’une prise en compte particulière de la spécificité de ses incapacités. La personne porteuse de handicap ne peut être réduite ni à une identité de déviante, ni à celle d’un sujet valide, mais à la dimension d’un être au monde singulier.

C’est donc avec l’ensemble de ces ambivalences que le projet d’autonomie doit être conçu. Mais il ne peut être élaboré comme une démarche définie à l’avance et préformatée. Il s’agit bien de faire du sur-mesure, en respectant non seulement la personnalité du sujet, ses doutes, ses hésitations, mais aussi en se centrant sur l’ensemble des possibles (et non sur ses seuls manques). On ne connaît vraiment les ressources d’une personne qu’après lui avoir donné les moyens d’expérimenter, de tâtonner, de commettre des erreurs, de revenir en arrière. Et surtout pas en satisfaisant ou en anticipant ses besoins, comme cela se passe trop souvent face au handicap. Si l’insatisfaction peut engendrer un sentiment d’insécurité qui parfois entraîne découragement et abandon, elle provoque bien plus fréquemment une stimulation et une envie de reconnaître, de nommer et de mettre en œuvre ses désirs. Pour développer son autonomie il faut donc être autorisé et s’autoriser à prendre du pouvoir sur soi.


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