N° 1038 | Le 10 novembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
On a coutume d’affirmer que les Maisons d’enfants à caractère social (MECS) seraient en crise de légitimité. Stéphane Bollut affirme ici qu’il s’agit d’une problématique bien plus complexe et globale, et que les difficultés des MECS ne sont que l’expression d’une anomie sociétale bien plus systémique. Ces établissements, créés par des associations souvent confessionnelles (catholiques à l’Ouest, protestantes à l’Est), sont les héritiers non des colonies pénitentiaires ou des maisons de correction, mais bien des orphelinats. Se représentant comme un refuge matriciel, le juge des enfants prenant alors la figure du père, ils se sont construits comme autant de contre-modèles positifs, dans une logique de rejet à l’égard des familles. Leur mission fut, pendant longtemps, de se substituer aux parents défaillants.
La loi 2002-2 est venue modifier le paradigme présidant aux relations avec les usagers, en plaçant le désir de ces derniers au cœur de l’intervention sociale. On retrouve là l’un des thèmes privilégiés du totalitarisme libéral, aux côtés des notions de logique gestionnaire et de rationalisation avec dans son sillage celles de diagnostic, de mesure de la compétence et d’évaluation, toutes choses devant trouver leur place dans la démarche qualité. Or, faire de la satisfaction du client le principal moteur de l’action des professionnels, cela revient à réduire le sujet à un être de besoin. Et c’est bien dans la mesure où, progressivement, les familles ont été perçues comme avant tout compétentes, que la défiance a changé de bord : ce sont les MECS dont on a commencé à se méfier. Ne prenaient-elles pas une place qui revenait naturellement aux parents ? En conséquence, elles se sont vues fixer comme finalité, le soutien à la parentalité. Leur rôle véritable s’en est trouvé détourné. Rien d’étonnant, dès lors, qu’elles entrent en crise.
Stéphane Bollut le rappelle : la suppléance qu’elles doivent exercer n’est pas parentale, mais éducative. Il ne s’agit pas de remplacer la famille, mais de concourir au processus qui permet à l’enfant d’advenir en tant qu’adulte. Cela ne relève ni de la liturgie des seuls bons sentiments du début des MECS, ni du fantasme managérial qui prétend établir une adéquation à une échelle quantifiable, comme on voudrait nous l’imposer aujourd’hui. La modernité a certes conféré aux relations éducatives d’autorité une dimension contractuelle : on ne peut plus agir sur l’enfant, sans se saisir de sa parole et de son adhésion. Mais l’enfant est à la fois sujet de droit et objet de sollicitude, à la fois acteur de son existence et dépendant des autres. Et les MECS sont justement les institutions qui le maintiennent à juste distance entre des droits protecteurs (qui présentent le risque de l’étouffer) et des droits liberté (qui menacent d’en faire le seul responsable de son destin).
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