N° 874 | Le 28 février 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Avoir un idéal, est-ce bien raisonnable ?

Michel Lacroix


éd. Flammarion, 2007 (197 p. ; 17 €) | Commander ce livre

Thème : Philosophie

Avoir un idéal est indispensable pour les uns, car rien ne définit plus l’être humain que de donner un sens à sa vie. C’est une attitude à proscrire pour les autres, tant l’excès, la désillusion et la dépendance que cela induit peuvent être destructeurs. Et il est vrai que si la mise en œuvre d’idéaux sociaux et politiques a permis de transformer le monde, elle a aussi constitué le plus court chemin vers l’enfer. Peut-on éviter le pire et préserver le meilleur ? C’est à cette question que répond l’auteur, agrégé de philosophie, dans un ouvrage didactique, clair et fort bien argumenté.

Son premier souci est de définir l’idéalisme. Cette démarche se distingue des valeurs qui sont héritées et souvent marquées par la pluralité. L’idéal, lui, relève d’un choix et est assorti d’une clause d’exclusivité (au même titre qu’une passion amoureuse peut difficilement se porter sur deux êtres à la fois). Avoir un idéal ce n’est pas non plus idéaliser. La première démarche consiste à privilégier une vision abstraite, tout en discréditant le réel et délégitimant l’existant, alors que la seconde cherche à changer le concret en l’embellissant et le transformant en artefact. « Est idéaliste toute personne qui oppose au monde existant l’image anticipée d’un monde meilleur et qui juge réalisable ce projet d’amélioration » (p.37).

Se pose très vite la question de l’écart entre le monde sensible et celui tant espéré, dualisme qu’on ne peut qu’essayer de réduire, en rapprochant, au besoin par la contrainte et la violence, le pôle du réel avec celui auquel on aspire tant. Les idéaux sont d’abord collectifs : modifier le vivre ensemble pour atteindre plus de bien être. Mais ils sont tout autant individuels : volonté d’une vie plus intense et plus riche, plus créative et plus épanouissante. Pendant longtemps, ce qui l’emporta, ce fut la quête religieuse de la piété, la chasteté et la charité. Il y a d’ailleurs une grande proximité entre cette foi et l’espoir idéaliste : même souci de prosélytisme, même pari sur un changement de l’homme, même conviction de grandir l’individu… Mais la volonté de perfection était limitée par la notion du pêché originel et par la nécessité de recevoir la grâce divine.

Aujourd’hui, plus rien ne relativise l’idéal du moi. L’obsession de la performance va bien au-delà de la seule moralité : intellectuelle, affective, physique, professionnelle, sociale. Chacun entendant se surpasser, se dépasser, se réaliser, s’accomplir et développer l’intégralité de son potentiel, l’instance persécutrice n’est plus ce surmoi sévère qui censure et réprime, mais le souci permanent d’excellence. D’où une multiplication du nombre des dépressions comme symptôme d’une exacerbation de l’idéalisme personnel. L’idéal est-il condamné à cette destructivité ? Non, affirme l’auteur, s’il est compensé par la tempérance, s’il se réconcilie avec le réel et s’il accepte d’agir avec modestie, en rejetant l’utopie d’un changement radical.


Dans le même numéro

Critiques de livres